Lève-toi, belle aurore, et tue la lune jalouse, qui déjà languit et pâlit de douleur…
William Shakespeare
A Maureen O’Sullivan.
Une fée est cachée en tout ce que tu vois.
Victor Hugo
Née pour être étoile
Peel slowly and see...
Mon bras pressait ta taille frêle
Et souple comme le roseau ;
Ton sein palpitait comme l’aile
D’un jeune oiseau.
Longtemps muets, nous contemplâmes
Le ciel où s’éteignait le jour.
Que se passait-il dans nos âmes ?
Amour ! Amour !
Comme un ange qui se dévoile,
Tu me regardais, dans ma nuit,
Avec ton beau regard d’étoile,
Qui m’éblouit.
Victor Hugo
Retourner aux cieux, quand bien même au néant de l’atome, serait grand ouvrage et grande harmonie à y retrouver Hypatie
Au déclin des grandeurs qui dominent la terre,
quand les cultes divins, sous les siècles ployés,
reprenant de l’ oubli le sentier solitaire,
regardent s’ écrouler leurs autels foudroyés ;
quand du chêne d’ Hellas la feuille vagabonde
des parvis désertés efface le chemin,
et qu’ au delà des mers où l’ ombre épaisse abonde,
vers un jeune soleil flotte l’ esprit humain ;
toujours des dieux vaincus embrassant la fortune,
un grand coeur les défend du sort injurieux ;
l’ aube des jours nouveaux le blesse et l’ importune :
il suit à l’ horizon l’ astre de ses aïeux.
Pour un destin meilleur qu’ un autre siècle naisse
et d’ un monde épuisé s’ éloigne sans remords ;
fidèle au songe heureux où fleurit sa jeunesse,
il entend tressaillir la poussière des morts.
Les sages, les héros se lèvent pleins de vie !
Les poëtes en choeur murmurent leurs beaux noms ;
et l’ Olympe idéal qu’ un chant sacré convie,
sur l’ ivoire s’ assied dans les blancs parthénons.
ô vierge, qui d’ un pan de ta robe pieuse
couvris la tombe auguste où s’ endormaient tes dieux :
de leur culte éclipsé prêtresse harmonieuse,
chaste et dernier rayon détaché de leurs cieux !
Je t’aime et te salue, ô vierge magnanime !
Quand l’ orage ébranla le monde paternel.
Tu suivis dans l’exil cet Oedipe sublime,
et tu l’enveloppas d’un amour éternel.
Debout, dans ta pâleur, sous les sacrés portiques
que des peuples ingrats abandonnait l’essaim,
Pythonisse enchaînée aux trépieds prophétiques,
les immortels trahis palpitaient dans ton sein.
Tu les voyais passer dans la nue enflammée !
De science et d’amour ils t’abreuvaient encor ;
et la terre écoutait, de ton rêve charmée,
chanter l’ abeille attique entre tes lèvres d’ or.
Comme un jeune lotos croissant sous l’ oeil des sages,
fleur de leur éloquence et de leur équité,
tu faisais, sur la nuit moins sombre des vieux âges,
resplendir ton génie à travers ta beauté !
Le grave enseignement des vertus éternelles
s’épanchait de ta lèvre au fond des cœurs charmés ;
et les galiléens qui te rêvaient des ailes,
oubliaient leur dieu mort pour tes dieux bien-aimés.
Mais le siècle emportait ces âmes insoumises
qu’un lien trop fragile enchaînait à tes pas ;
et tu les voyais fuir vers les terres promises ;
mais toi qui savais tout, tu ne les suivis pas !
Que t’importait, ô vierge, un semblable délire ?
Ne possédais-tu pas cet idéal cherché ?
Va ! Dans ces cœurs troublés tes regards savaient lire,
et les dieux bienveillants ne t’avaient rien caché.
ô sage enfant, si pure entre tes sœurs mortelles !
ô noble front, sans tache entre les fronts sacrés !
Quelle âme avait chanté sur des lèvres plus belles,
et brûlé plus limpide en des yeux inspirés ?
Sans effleurer jamais ta robe immaculée,
les souillures du siècle ont respecté tes mains :
tu marchais, l’ oeil tourné vers la vie étoilée,
ignorante des maux et des crimes humains.
L’ homme en son cours fougueux t’ a frappée et maudite,
mais tu tombas plus grande ! Et maintenant, hélas !
Le souffle de Platon et le corps d’ Aphrodite
sont partis à jamais pour les beaux cieux d’ Hellas!
Dors, ô blanche victime, en notre âme profonde,
dans ton linceul de vierge et ceinte de lotos ;
dors ! L’ impure laideur est la reine du monde,
et nous avons perdu le chemin de Paros.
Les dieux sont en poussière et la terre est muette ;
rien ne parlera plus dans ton ciel déserté.
Dors ! Mais vivante en lui, chante au cœur du poète
l’ hymne mélodieux de la sainte beauté.
Elle seule survit, immuable, éternelle.
La mort peut disperser les univers tremblants,
mais la beauté flamboie, et tout renaît en elle,
et les mondes encor roulent sous ses pieds blancs.
Leconte de Lisle, Hypatie.
Al Capone, Boardwalk Empire, saison 3.
On a été sur la route 18 heures, j’ai besoin d’un bain, d’un truc à manger. Et après toi et moi on s’asseoit, et on décide de qui meurt. Hein ?
Al Capone.
Olympia
Ou "le regard désincarné et omniprésent de Dieu".
Signé Mademoiselle Leni Riefenstahl ou la petite fille aux trois noix
J’ai eu une enfance heureuse. Elle s’est passée dans la nature. J’étais une fille des bois et des prairies, en sympathie directe avec chaque fleur, chaque insecte, nichée dans les buissons, évoluant sans peur entre les arbres…
Sayonara Nishi-san
Du cœur de la pivoine
L’abeille sort
Avec quel regret !
Bashô
Sayonara Kuribayashi-san
Le dormeur du val
C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud
Parties sur quelle mer, quelle terre, je l’ignore.
Elles demeurent invisibles, les nobles âmes gardiennes du pays.
Waka de l’impératrice Michiko. Lettres d'Iwo Jima aussi.
Puisse votre règne
Durer mille ans, pour huit-mille générations,
Jusqu’à ce que les pierres
Deviennent roches
Recouvertes de mousse.
Kimi Ga Yo
Rien ne dit
dans le chant de la cigale
qu’elle est près de sa fin.
Bashô
Lumière éteinte
du ciel limpide une étoile se détache
et entre par la fenêtre
Natsume Sôseki
Ode à Hideko
Sur l’œillet
un papillon blanc
ou une âme égarée
Shiki Masaoka
Naître d'une larme ou d'un sourire d'Hideko. Finir dans chacun de ses soupirs.
Partie pour quelle étoile, à réchauffer quels coeurs, à éclairer quelles âmes ?
Elle s'évanouit, la rosée
n'ayant avec ce monde impur
rien à faire !
Issa. Takahata aussi.
Ode à Oyuki
Herbes folles de l’été
où frémit encore
le rêve des guerriers !
Bashô. Kurosawa aussi.
Ode à Toshiro
Ne réveillez pas un tigre qui rêve...
Illyria : Veux-tu que je te mentes maintenant ?
Wesley : Oui.
In loving memory of Fred...
Soleil et chair
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l’amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d’amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu’il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !
Et tout croît, et tout monte !
- Ô Vénus, ô Déesse !
Je regrette les temps de l’antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d’amour l’écorce des rameaux
Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L’eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d’amour ;
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante ;
Où les arbres muets, berçant l’oiseau qui chante,
La terre berçant l’homme, et tout l’Océan bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu !
Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu’on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d’airain, les splendides cités ;
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L’Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
- Parce qu’il était fort, l’Homme était chaste et doux.
Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes.
Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l’Homme est Roi,
L’Homme est Dieu ! Mais l’Amour, voilà la grande Foi !
Oh ! si l’homme puisait encore à ta mamelle,
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ;
S’il n’avait pas laissé l’immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l’immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose où vint neiger l’écume,
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l’amour dans les coeurs !
II
Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère,
Aphrodite marine ! - Oh ! la route est amère
Depuis que l’autre Dieu nous attelle à sa croix ;
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c’est en toi que je crois !
- Oui, l’Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste.
Il a des vêtements, parce qu’il n’est plus chaste,
Parce qu’il a sali son fier buste de dieu,
Et qu’il a rabougri, comme une idole au feu,
Son cors Olympien aux servitudes sales !
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles
Il veut vivre, insultant la première beauté !
- Et l’Idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l’Homme pût éclairer sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre à la beauté du jour,
La Femme ne sait plus même être courtisane !
- C’est une bonne farce ! et le monde ricane
Au nom doux et sacré de la grande Vénus !
III
Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !
- Car l’Homme a fini ! l’Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles,
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L’Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout ; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l’horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
- Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L’Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d’un immense baiser !
- Le Monde a soif d’amour : tu viendras l’apaiser.
Ô ! L’Homme a relevé sa tête libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté première
Fait palpiter le dieu dans l’autel de la chair !
Heureux du bien présent, pâle du mal souffert,
L’Homme veut tout sonder, - et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S’élance de son front ! Elle saura Pourquoi !…
Qu’elle bondisse libre, et l’Homme aura la Foi !
- Pourquoi l’azur muet et l’espace insondable ?
Pourquoi les astres d’or fourmillant comme un sable ?
Si l’on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l’horreur de l’espace ?
Et tous ces mondes-là, que l’éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d’une éternelle voix ?
- Et l’Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu’un rêve ?
Si l’homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D’où vient-il ? Sombre-t-il dans l’Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l’immense Creuset d’où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?…
Nous ne pouvons savoir ! - Nous sommes accablés
D’un manteau d’ignorance et d’étroites chimères !
Singes d’hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l’infini !
Nous voulons regarder : - le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile…
- Et l’horizon s’enfuit d’une fuite éternelle !…
Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l’Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l’immense splendeur de la riche nature !
Il chante… et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !…
- C’est la Rédemption ! c’est l’amour ! c’est l’amour !…
IV
Ô splendeur de la chair ! ô splendeur idéale !
Ô renouveau d’amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros,
Kallipyge la blanche et le petit Éros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !
- Ô grande Ariadné, qui jettes tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thésée,
Ô douce vierge enfant qu’une nuit a brisée,
Tais-toi ! Sur son char d’or brodé de noirs raisins,
Lysios, promené dans les champs Phrygiens
Par les tigres lascifs et les panthères rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
- Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant
Le corps nu d’Europé, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague.
Il tourne lentement vers elle son oeil vague ;
Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur,
Au front de Zeus ; ses yeux sont fermés ; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son écume d’or fleurit sa chevelure.
- Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur
Embrassant la Léda des blancheurs de son aile ;
- Et tandis que Cypris passe, étrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Étale fièrement l’or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brodé de mousse noire,
- Héraclès, le Dompteur, qui, comme d’une gloire,
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S’avance, front terrible et doux, à l’horizon !
Par la lune d’été vaguement éclairée,
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairière sombre où la mousse s’étoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux…
- La blanche Séléné laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pâle rayon…
- La Source pleure au loin dans une longue extase…
C’est la Nymphe qui rêve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé.
- Une brise d’amour dans la nuit a passé,
Et, dans les bois sacrés, dans l’horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
- Les Dieux écoutent l’Homme et le Monde infini !
Arthur Rimbaud
Mon coeur, oiseau du désert, a trouvé son ciel dans tes yeux.
Ils sont le berceau du matin, ils sont le royaume des étoiles.
Leur abîme engloutit mes chants.
Dans ce ciel immense et solitaire laisse-moi planer.
Laisse-moi fendre ses nuages et déployer mes ailes dans son soleil.
Rabindranâth Tagore, Le jardinier d’amour. Swades aussi.
Las de l’amer repos où ma paresse offense
Une gloire pour qui jadis j’ai fui l’enfance
Adorable des bois de roses sous l’azur
Naturel, et plus las sept fois du pacte dur
De creuser par veillée une fosse nouvelle
Dans le terrain avare et froid de ma cervelle,
Fossoyeur sans pitié pour la stérilité,
- Que dire à cette Aurore, ô Rêves, visité
Par les roses, quand, peur de ses roses livides,
Le vaste cimetière unira les trous vides ? -
Je veux délaisser l’Art vorace d’un pays
Cruel, et, souriant aux reproches vieillis
Que me font mes amis, le passé, le génie,
Et ma lampe qui sait pourtant mon agonie,
Imiter le Chinois au coeur limpide et fin
De qui l’extase pure est de peindre la fin
Sur ses tasses de neige à la lune ravie
D’une bizarre fleur qui parfume sa vie
Transparente, la fleur qu’il a sentie, enfant,
Au filigrane bleu de l’âme se greffant.
Et, la mort telle avec le seul rêve du sage,
Serein, je vais choisir un jeune paysage
Que je peindrais encor sur les tasses, distrait.
Une ligne d’azur mince et pâle serait
Un lac, parmi le ciel de porcelaine nue,
Un clair croissant perdu par une blanche nue
Trempe sa corne calme en la glace des eaux,
Non loin de trois grands cils d’émeraude, roseaux.
Stéphane Mallarmé
Un coeur lourd qui, dans un palais endormi, enfin se tait. Une voix amante qui depuis longtemps s’était tue. Deux rires d’outre-tombe, deux rires à l’unisson, incarnant deux âmes flottantes, deux âmes en liberté. Le cosmos en est tout chose. Ainsi s’achève le film de Mizoguchi. Et l’histoire terrestre de l’empereur Hsuan Tsung et de sa favorite Yang Kwei-fei. Alias Très pure essence.
Yang Kwei-fei
Très pure essence
Le chant des éternels regrets
L’empereur des Han, épris de plaisir sexuel
Fit chercher dans tout l’Empire bien des années une beauté, en vain.
Dans la famille Yang, une jeune fille devint nubile
Nourrie au fond du gynécée, à l’abri des regards
Céleste, superbe, difficile de la laisser à l’écart!
Un beau matin, elle est choisie pour vivre aux côtés du souverain.
Tournait-elle la tête, cents charmes naissaient d’un sourire
Dans les six palais, les têtes fardées perdaient leur éclat
Par un printemps froid, on la baigna dans l’étang Huaqing
Les eaux des sources chaudes glissèrent sur son corps
Les servantes la soutinrent toute belle et sans forces
Pour la première fois, elle reçut les immenses faveurs du souverain
Coiffure neigeuse, parures de fleurs et d’or, bougeaient quand elle marchait
Derrière les rideaux brodés d’hibiscus, tiédeur! Ils passent des nuits d’amour
Nuits d’amour, comme elles sont brèves! Le soleil est haut quand ils se lèvent
Dès lors, le souverain ne donne plus audience le matin
Faveurs accordées; elle sert au banquet du plaisir sans trêve
Ils font l’amour encore et encore toutes les nuits
Dans le gynécée du palais, vivent trois mille belles concubines
L’amour dû à ces trois mille, le souverain le reporte sur une seule
Dans la chambre ornée de dorures, elle se fait belle pour la nuit
Dans le pavillon de jade après le banquet, l’ivresse se joint au plaisir sexuel
Sœurs et frères ont tous reçu des postes et des terres
Bonheur et gloire vont à tout le clan
Alors dans le pays les pères et les mères
Cessent d’apprécier les fils, mais veulent des filles!
Le palais Li (Huaqing) accroche les nuages d’azur
Une musique d’immortels voltige, on l’entend partout
Chants languides, danses lentes, au son des cordes et des bois
Toute la sainte journée, le souverain ne se lasse pas de contempler sa dulcinée
A Yuyang soudain les tambours guerriers ébranlent le sol
Interrompent la mélodie intitulée “ “Robe d’arc-en-ciel, veste de plume” “
Des neuf périmètres de murailles et de tours s’élèvent fumée et poussière
Avec mille chars et dix mille cavaliers l’empereur fuit vers le sud-ouest
Fanions azur au vent, le cortège tout à tour marche et s’arrête
Ils sont à un peu plus de cent li des portes quittées
Les six armées n’avancent plus ; que faire?
La femme gracile aux charmants sourcils est tuée devant les chevaux
Son diadème serti d’or jonche le sol ; personne ne le ramasse
Plumes de martins-pêcheurs, moineaux dorés, épingles de jade
L’Empereur se voila la face, n’ayant pu la sauver
Détournant le regard, il pleure des larmes de sang à flots
Un vent frais disperse la poussière jaune
Passerelles touchant les nuages, sentiers sinueux, le cortège escalade le col de l’Epée
Au pied du mont Emei, peu de passants
Les drapeaux sont ternis, le soleil brille à peine
Au pays de Shu, les rivières sont vert tendre, les montagnes bleues
Le souverain jour et nuit a des peines de cœur
Dans sa résidence d’étape, il regarde la lune, blessé par le désir d’amour
La nuit, entendant le son des clochettes dans la pluie, il a les entrailles déchirées
Le ciel tourne, la terre change, le char impérial revient
Parvenu à l’endroit, il hésite, ne peut plus s’en éloigner
Au pied du coteau Mawei, dans la boue
Il ne voit pas le visage de jade, l’endroit où elle périt est vide
Empereur et ministres se regardent, larmes de mouiller leurs habits
Ils vont vers la Porte Orientale, se fiant à leurs chevaux qui retournent
Ils retournent à l’étang, aux parcs, tout est comme avant
Hibiscus à Taiye, saule à Weiyang
Les hibiscus évoquent son visage, les saules ses sourcils
Devant ce spectacle, comment ne pas fondre en larmes?
A la brise du printemps les fleurs de pêcher et de prunier s’ouvraient au soleil
Cet automne, les feuilles de paulownia choient
Dans le palais de l’ouest et du sud, les feuilles jonchent le sol
Des feuilles mortes plein les marches rougies, non balayées!
Au jardin des poiriers, les jeunes disciples ont leurs cheveux blanchis
Dans la résidence des poivriers, eunuques et suivantes vieillissent
Au soir, dans le palais, lucioles de voltiger, souverain de penser à son amour
La lampe solitaire se consume, le prince ne s’endort toujours pas
Lentement cloches et gongs indiquent le début d’une longue nuit
Brillantes étoiles et Voie lactée cèdent la place à l’aurore
Les tuiles imbriquées comme des canards mandarins sont givrées
Le prince a froid sous sa couette de martins-pêcheurs ; qui viendra la partager?
Voici déjà un an que le vivant et la morte sont séparés
Son âme n’est pas encore venue le visiter en rêve
De Linqiong, un prêtre taoïste arrive à la porte du palais
Il est capable d’atteindre les âmes de morts
Il ressent de la sympathie pour le chagrin sans fin de l’empereur
Alors, il s’efforce de tout son savoir, fait une investigation
Il traverse le ciel, chevauche les nuées, vif comme l’éclair
Il est monté au ciel, a pénétré sous terre, la cherchant partout
Il a grimpé au fond de l’azur, est tombé jusqu’aux Sources Jaunes
Des deux côtés, jusqu’au fin fond, il n’a rien trouvé
Soudain, il entend parler d’une montagne magique sur la mer
Sur cette montagne, sise dans un vide inaccessible
Sont bâtis des pavillons ciselés touchant les nuages multicolores
Y séjournent de superbes immortelles
Parmi elles, l’une s’appelle Taizhen (Très pure Essence)
Teint de neige, visage de fleur, serait-ce une erreur?
Il arrive au pavillon doré de l’ouest, frappe à la porte de jade
Ordonne à Petit Jade de l’annoncer à la suivante Shuang Cheng (Double Succès)
Apprenant que le taoïste est l’envoyé du fils du ciel
Sous les courtines aux neufs fleurs, l’âme surprise en son rêve
Ôte son vêtement, repousse l’oreiller, se lève, hésite
Puis, par les crochets d’argent soulevé, son rideau de perles s’ouvre
Les nuages de sa coiffure encore tout déviés par son récent sommeil
Son bonnet fleuri de travers, elle descend dans la salle
Au gré de la brise ondulant, ses manches de déesse flottent
Comme dans la danse des “ “Robes d’arc-en-ciel et manteaux de plumes” “
Sur son pur visage attristé lentement des larmes coulent :
Un rameau de poirier fleuri au printemps, tout perlé de pluie
Contenant son émoi, avec un regard oblique et figé, elle rend grâce à son seigneur et maître
Depuis la séparation, son visage, sa voix, tout se perd dans le vague
Ferventes amours du palais Zhao Yang, la trame en est brisée
Dans les séjours enchantés de Penglai, jours et mois sont longs
Si le regard s’en détourne et s’abaisse vers le monde des humains
Il ne distingue pas Chang’An, la capitale, ne voit que poussière et brouillard
Que du moins ces reliques du passé témoignent d’un profond amour!
Ce drageoir incrusté de gemmes, cette épingle aux branches d’or, que le messager les emporte!
De l’épingle elle gardera une branche, du drageoir une partie
Rompant l’or pur de l’épingle, des incrustations divisent les figurent :
Si nos cœurs sont aussi constants que cet or et cette gemme
Dans les cieux ou chez les humains, nous nous reverrons.
Au mage qui repart, elle confie encore anxieuse ce message
Rappel d’un serment qu’eux deux s’étaient fait en secret :
Le 7 du septième mois, dans le palais de l’éternelle vie
Quand vers minuit, sans témoins, s’échangeaient les propos d’amour :
Faisons vœu d’être au ciel deux oiseaux au vol inséparable
Et sur terre un couple végétal à un seul feuillage
Le ciel et la terre dureront longtemps, mais un jour ils finiront
Ce regret, sans cesse, se perpétuera.
Bai Ju-yi
Bien qu’on me traite
Comme une fleur rare
Dès que j’éclos
On fait tomber mes pétales…
I Ouverture ancienne d’Hérodiade
La nourrice (incantation) :
Abolie, et son aile affreuse dans les larmes
Du bassin, aboli, qui mire les alarmes,
Des ors nus fustigeant l’espace cramoisi,
Une Aurore a, plumage héraldique, choisi
Notre tour cinéraire et sacrificatrice,
Lourde tombe qu’a fuie un bel oiseau, caprice
Solitaire d’aurore au vain plumage noir …
Ah ! des pays déchus et tristes le manoir !
Pas de clapotement ! L’eau morne se résigne,
Que ne visite plus la plume ni le cygne
Inoubliable : l’eau reflète l’abandon
De l’automne éteignant en elle son brandon :
Du cygne quand parmi le pâle mausolée
Où la plume plongea la tête, désolée
Par le diamant pur de quelque étoile, mais
Antérieure, qui ne scintilla jamais.
Crime ! bûcher ! aurore ancienne ! supplice !
Pourpre d’un ciel ! Etang de la pourpre complice !
Et sur les incarnats, grand ouvert, ce vitrail.
La chambre singulière en un cadre, attirail
De siècle belliqueux, orfèvrerie éteinte,
A le neigeux jadis pour ancienne teinte,
Et sur sa tapisserie, au lustre nacré, plis
Inutiles avec les yeux ensevelis
De sibylles offrant leur ongle vieil aux Mages.
Une d’elles, avec un passé de ramages
Sur ma robe blanchie en l’ivoire fermé
Au ciel d’oiseaux parmi l’argent noir parsemé,
Semble, de vols partir costumée et fantôme,
Un arôme qui porte, ô roses ! un arôme,
Loin du lit vide qu’un cierge soufflé cachait,
Un arôme d’ors froids rôdant sur le sachet,
Une touffe de fleurs parjures à la lune
(A la cire expirée encor s’effeuille l’une),
De qui le long regret et les tiges de qui
Trempent en un seul verre à l’éclat alangui.
Une Aurore traînait ses ailes dans les larmes !
Ombre magicienne aux symboliques charmes !
Une voix, du passé longue évocation,
Est-ce la mienne prête à l’incantation ?
Encore dans les plis jaunes de la pensée
Traînant, antique, ainsi qu’une étoile encensée
Sur un confus amas d’ostensoirs refroidis,
Par les trous anciens et par les plis roidis
Percés selon le rythme et les dentelles pures
Du suaire laissant par ses belles guipures
Désespérée monter le vieil éclat voilé
S’élève ! (ô quel lointain en ces appels celé !)
Le vieil éclat voilé du vermeil insolite,
De la voix languissant, nulle, sans acolyte,
Jettera-t-il son or par dernières splendeurs,
Elle, encore, l’antienne aux versets demandeurs,
À l’heure d’agonie et de luttes funèbres !
Et, force du silence et des noires ténèbres
Tout rentre également en l’ancien passé,
Fatidique, vaincu, monotone, lassé,
Comme l’eau des bassins anciens se résigne.
Elle a chanté, parfois incohérente, signe
Lamentable !
Le lit aux pages de vélin,
Tel, inutile et si claustral, n’est pas le lin !
Qui des rêves par plis n’a plus le cher grimoire,
Ni le dais sépulcral à la déserte moire,
Le parfum des cheveux endormis. L’avait-il ?
Froide enfant, de garder en son plaisir subtil
Au matin grelottant de fleurs, ses promenades,
Et quand le soir méchant a coupé les grenades !
Le croissant, oui le seul est au cadran de fer
De l’horloge, pour poids suspendant Lucifer,
Toujours blessé, toujours une nouvelle heurée,
Par la clepsydre à la goutte obscure pleurée,
Que, délaissée, elle erre, et sur son ombre pas
Un ange accompagnant son indicible pas !
Il ne sait pas cela le roi qui salarie,
Depuis longtemps la gorge ancienne est tarie.
Son père ne sait pas cela, ni le glacier
Farouche reflétant de ses armes l’acier,
Quand sur un tas gisant de cadavres sans coffre
Odorant de résine, énigmatique, il offre
Ses trompettes d’argent obscur aux vieux sapins !
Reviendra-t-il un jour des pays cisalpins !
Assez tôt ? Car tout est présage et mauvais rêve !
À l’ongle qui parmi le vitrage s’élève
Selon le souvenir des trompettes, le vieux
Ciel brûle, et change un doigt en un cierge envieux.
Et bientôt sa rougeur de triste crépuscule
Pénétrera du corps la cire qui recule !
De crépuscule, non, mais de rouge lever,
Lever du jour dernier qui vient tout achever,
Si triste se débat, que l’on ne sait plus l’heure
La rougeur de ce temps prophétique qui pleure
Sur l’enfant, exilée en son coeur précieux
Comme un cygne cachant en sa plume ses yeux,
Comme les mit le vieux cygne en sa plume, allée
De la plume détresse, en l’éternelle allée
De ses espoirs, pour voir les diamants élus
D’une étoile mourante, et qui ne brille plus.
II Scène
La Nourrice :
Tu vis ! ou vois-je ici l’ombre d’une princesse ?
À mes lèvres tes doigts et leurs bagues et cesse
De marcher dans un âge ignoré …
Hérodiade :
Reculez.
Le blond torrent de mes cheveux immaculés
Quand il baigne mon corps solitaire le glace
D’horreur, et mes cheveux que la lumière enlace
Sont immortels. Ô femme, un baiser me tûrait
Si la beauté n’était la mort …
Par quel attrait
Menée et quel matin oublié des prophètes
Verse, sur les lointains mourants, ses tristes fêtes,
Le sais-je ? tu m’as vue, ô nourrice d’hiver,
Sous la lourde prison de pierres et de fer
Où de mes vieux lions traînent les siècles fauves
Entrer, et je marchais, fatale, les mains sauves,
Dans le parfum désert de ses anciens rois :
Mais encore as-tu-vu quels furent mes effrois ?
Je m’arrête rêvant aux exils, et j’effeuille,
Comme près d’un bassin dont le jet d’eau m’accueille
Les pâles lys qui sont en moi, tandis qu’épris
De suivre du regard les languides débris
Descendre, à travers ma rêverie, en silence,
Les lions, de ma robe écartent l’indolence
Et regardent mes pieds qui calmeraient la mer.
Calme, toi, les frissons de ta sénile chair,
Viens et ma chevelure imitant les manières
Trop farouches qui font votre peur des crinières,
Aide-moi, puisqu’ainsi tu n’oses plus me voir,
À me peigner nonchalamment dans un miroir.
La Nourrice :
Sinon la myrrhe gaie en ses bouteilles closes,
De l’essence ravie aux vieillesses de roses,
Voulez-vous, mon enfant, essayer la vertu
Funèbre ?
Hérodiade :
Laisse-là ces parfums ! ne sais-tu
Que je les hais, nourrice, et veux-tu que je sente
Leur ivresse noyer ma tête languissante ?
Je veux que mes cheveux qui ne sont pas des fleurs
À répandre l’oubli des humaines douleurs
Mais de l’or, à jamais vierge des aromates,
Dans leurs éclairs cruels et dans leurs pâleurs mates,
Observent la froideur stérile du métal,
Vous ayant reflétés, joyaux du mur natal,
Armes, vases depuis ma solitaire enfance.
La Nourrice :
Pardon ! l’âge effaçait, reine, votre défense
De mon esprit pâli comme un vieux livre ou noir …
Hérodiade :
Assez ! Tiens devant moi ce miroir. Ô miroir !
Eau froide par l’ennui dans ton cadre gelée
Que de fois et pendant les heures, désolée
Des songes et cherchant mes souvenirs qui sont
Comme des feuilles sous ta glace au trou profond,
Je m’apparus en toi comme une ombre lointaine
Mais, horreur ! des soirs, dans ta sévère fontaine,
J’ai de mon rêve épars connu la nudité !
Nourrice, suis-je belle ?
La Nourrice :
Un astre, en vérité
Mais cette tresse tombe …
Hérodiade :
Arrête dans ton crime
Qui refroidit mon sang vers sa source, et réprime
Ce geste, impiété fameuse : ah ! conte-moi
Quel sûr démon te jette en le sinistre émoi,
Ce baiser, ces parfums offerts et, le dirai-je ?
Ô mon coeur, cette main encore sacrilège,
Car tu voulais, je crois, me toucher, sont un jour
Qui ne finira pas sans malheur sur la tour …
Ô jour qu’Hérodiade avec effroi regarde !
La Nourrice :
Temps bizarre, en effet, de quoi le ciel vous garde !
Vous errez, ombre seule et nouvelle fureur,
Et regardant en vous précoce avec terreur ;
Mais toujours adorable autant qu’une immortelle,
Ô mon enfant, et belle affreusement, et telle
Que …
Hérodiade :
Mais n’allais-tu pas me toucher ?
La Nourrice :
… J’aimerais
Etre à qui le Destin réserve vos secrets.
Hérodiade :
Oh ! tais-toi !
La Nourrice :
Viendra-t-il parfois ?
Hérodiade :
Étoiles pures,
N’entendez pas !
La Nourrice :
Comment, sinon parmi d’obscures
Épouvantes, songer plus implacable encor
Et comme suppliant le dieu que le trésor
De votre grâce attend ! et pour qui, dévorée
D’angoisse, gardez-vous la splendeur ignorée
Et le mystère vain de votre être ?
Hérodiade :
Pour moi.
La Nourrice :
Triste fleur qui croît seule et n’a pas d’autre émoi
Que son ombre dans l’eau vue avec atonie.
Hérodiade :
Va, garde ta pitié comme ton ironie.
La Nourrice :
Toutefois expliquez : oh ! non, naïve enfant,
Décroîtra, quelque jour, ce dédain triomphant …
Hérodiade :
Mais qui me toucherait, des lions respectée ?
Du reste, je ne veux rien d’humain et, sculptée,
Si tu me vois les yeux perdus au paradis,
C’est quand je me souviens de ton lait bu jadis.
La Nourrice :
Victime lamentable à son destin offerte !
Hérodiade :
Oui, c’est pour moi, pour moi, que je fleuris, déserte !
Vous le savez, jardins d’améthyste, enfouis
Sans fin dans vos savants abîmes éblouis,
Ors ignorés, gardant votre antique lumière
Sous le sombre sommeil d’une terre première,
Vous, pierres où mes yeux comme de purs bijoux
Empruntent leur clarté mélodieuse, et vous
Métaux qui donnez à ma jeune chevelure
Une splendeur fatale et sa massive allure !
Quant à toi, femme née en des siècles malins
Pour la méchanceté des antres sibyllins,
Qui parles d’un mortel ! selon qui, des calices
De mes robes, arôme aux farouches délices,
Sortirait le frisson blanc de ma nudité,
Prophétise que si le tiède azur d’été,
Vers lui nativement la femme se dévoile,
Me voit dans ma pudeur grelottante d’étoile,
Je meurs !
J’aime l’horreur d’être vierge et je veux
Vivre parmi l’effroi que me font mes cheveux
Pour, le soir, retirée en ma couche, reptile
Inviolé sentir en la chair inutile
Le froid scintillement de ta pâle clarté
Toi qui te meurs, toi qui brûles de chasteté
Nuit blanches de glaçons et de neige cruelle !
Et ta soeur solitaire, ô ma soeur éternelle
Mon rêve montera vers toi : telle déjà,
Rare limpidité d’un coeur qui le songea,
Je me crois seule en ma monotone patrie
Et tout, autour de moi, vit dans l’idolâtrie
D’un miroir qui reflète en son calme dormant
Hérodiade au clair regard de diamant …
Ô charme dernier, oui ! je le sens, je suis seule.
La Nourrice :
Madame, allez-vous donc mourir ?
Hérodiade :
Non, pauvre aïeule,
Sois calme et, t’éloignant, pardonne à ce coeur dur,
Mais avant, si tu veux, clos les volets, l’azur
Séraphique sourit dans les vitres profondes,
Et je déteste, moi, le bel azur !
Des ondes
Se bercent et, là-bas, sais-tu pas un pays
Où le sinistre ciel ait les regards haïs
De Vénus qui, le soir, brûle dans le feuillage :
J’y partirais.
Allume encore, enfantillage
Dis-tu, ces flambeaux où la cire au feu léger
Pleure parmi l’or vain quelque pleur étranger
Et …
La Nourrice :
Maintenant ?
Hérodiade :
Adieu.
Vous mentez, ô fleur nue
De mes lèvres.
J’attends une chose inconnue
Ou peut-être, ignorant le mystère et vos cris,
Jetez-vous les sanglots suprêmes et meurtris
D’une enfance sentant parmi les rêveries
Se séparer enfin ses froides pierreries.
III CANTIQUE DE SAINT JEAN
Le soleil que sa halte
Surnaturelle exalte
Aussitôt redescend
Incandescent
Je sens comme aux vertèbres
S’éployer des ténèbres
Toutes dans un frisson
À l’unisson
Et ma tête surgie
Solitaire vigie
Dans les vols triomphaux
De cette faux
Comme rupture franche
Plutôt refoule ou tranche
Les anciens désaccords
Avec le corps
Qu’elle de jeûnes ivre
S’opiniâtre à suivre
En quelque bond hagard
Son pur regard
Là-haut où la froidure
Éternelle n’endure
Que vous le surpassiez
Tous ô glaciers
Mais selon un baptême
Illuminée au même
Principe qui m’élut
Penche un salut.
Stéphane Mallarmé
Colloque sentimental
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.
- Te souvient-il de notre extase ancienne?
- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne?
- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
Toujours vois-tu mon âme en rêve? - Non.
Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.
- Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
Paul Verlaine. Frantz Schubert aussi dans le quintet D 956 adagio.
Vendredi, l7 février 1860
Monsieur,
Je me suis toujours figuré que si accoutumé à la gloire que fut un grand artiste, il n'était pas insensible à un compliment sincère, quand ce compliment était comme un cri de reconnaissance, et enfin que ce cri pouvait avoir une valeur d'un genre singulier, quand il venait d'un français, c'est-à-dire d'un homme peu fait pour l'enthousiasme et né dans un pays où l'on ne s’ entend guères plus à la poésie et à la peinture qu'à la musique. Avant tout, je veux vous dire que je vous dois la plus grande jouissance musicale que j'aie jamais éprouvée. Je suis d'un âge où on ne s'amuse plus guères à écrire aux hommes célèbres, et j'aurais hésité longtemps encore à vous témoigner par lettre mon admiration, si tous les jours mes yeux ne tombaient sur des articles indignes, ridicules, ou on fait tous les efforts possibles pour diffamer votre génie. Vous n'êtes pas le premier homme, Monsieur, à l’occasion duquel j'ai eu à souffrir et à rougir de mon pays. Enfin l'indignation m'a poussé à vous témoigner ma reconnaissance; je me suis dit: Je veux être distingué de tous ces imbéciles.
La première fois que je suis allé aux Italiens, pour entendre vos ouvrages, j'étais assez mal disposé, et même, je l'avouerai, plein de mauvais préjugés; mais je suis excusable; j'ai été si souvent dupe; j'ai entendu tant de musique de charlatans à grandes prétentions. Par vous j'ai été vaincu tout de suite. Ce que j'ai éprouvé est indescriptible, et si vous daignez ne pas rire, j'essaierai de vous le traduire. D'abord il m'a semblé que je connaissais cette musique, et plus tard en y réfléchissant, j'ai compris d'où venait ce mirage; il me semblait que cette musique était la mienne, et je la reconnaissais comme tout homme reconnaît les choses qu'il est destiné à aimer. Pour tout autre que pour un homme d'esprit, cette phrase serait immensément ridicule, surtout écrite par quelqu'un qui, comme moi, ne sait pas la musique, et dont toute l'éducation se borne à avoir entendu (avec grand plaisir, il est vrai) quelques beaux morceaux de Weber et de Beethoven.
Ensuite le caractère qui m'a principalement frappé, ç'a été la grandeur. Cela représente le grand, et cela pousse au grand. J'ai retrouvé partout dans vos ouvrages la solennité des grands bruits, des grands aspects de la Nature, et la solennité des grandes passions de l'homme. On se sent tout de suite enlevé et subjugué. L'un des morceaux les plus étranges et qui m'ont apporté une sensation musicale nouvelle est celui qui est destiné à peindre une extase religieuse. L'effet produit par l'Introduction des invités et par la Fête nuptiale est immense J'ai senti toute la majesté d'une vie plus large que la nôtre. Autre chose encore : j'ai éprouvé souvent un sentiment d'une nature assez bizarre, c'est l'orgueil et la jouissance de comprendre, de me laisser pénétrer, envahir, volupté vraiment sensuelle, et qui ressemble à celle de monter dans l'air ou de rouler sur la mer. Et la musique en même temps respirait quelquefois l'orgueil de la vie. Généralement ces profondes harmonies me paraissaient ressembler à ces excitants qui accélèrent le pouls de l'imagination. Enfin, j'ai éprouvé aussi, et je vous supplie de ne pas rire, des sensations qui dérivent probablement de la tournure de mon esprit et de mes préoccupations fréquentes. Il y a partout quelque chose d'enlevé et d'enlevant, quelque chose aspirant à monter plus haut, quelque chose d'excessif et de superlatif. Par exemple, pour me servir de comparaisons empruntées à la peinture, je suppose devant mes yeux une vaste étendue d'un rouge sombre. Si ce rouge représente la passion, je le vois arriver graduellement, par toutes les transitions de rouge et de rose, à l'incandescence de la fournaise. Il semblerait difficile, impossible même d'arriver à quelque chose de plus ardent; et cependant une dernière fusée vient tracer un sillon plus blanc sur le blanc qui lui sert de fond. Ce sera, si vous voulez, le cri suprême de l'âme montée à son paroxysme.
J'avais commencé à écrire quelques méditations sur les morceaux de Tannhäuser et de Lohengrin que nous avons entendus; mais j'ai reconnu l'impossibilité de tout dire.
Ainsi je pourrais continuer cette lettre interminablement Si vous avez pu me lire, je vous en remercie. Il ne me reste plus qu'à ajouter que quelques mots. Depuis le jour où j'ai entendu votre musique, je me dis sans cesse, surtout dans les mauvaises heures: Si, au moins, je pouvais entendre ce soir un peu de Wagner! Il y a sans doute d'autres hommes faits comme moi. En somme vous avez dû être satisfait du public dont l'instinct a été bien supérieur à la mauvaise science des journalistes. Pourquoi ne donneriez-vous pas quelques concerts encore en y ajoutant des morceaux nouveaux? Vous nous avez fait connaître un avant-goût de jouissances nouvelles; avez-vous le droit de nous priver du reste? Une fois encore, Monsieur, je vous remercie; vous m'avez rappelé à moi-même et au grand, dans de mauvaises heures.
CH. BAUDELAIRE.
Je n 'ajoute pas mon adresse, parce que vous croiriez peut-être que j'ai quelque chose à vous demander.
Trompettes tout haut d’or pâmé sur les vélins,
Le dieu Richard Wagner irradiant un sacre
Mal tu par l’encre même en sanglots sibyllins.
Stéphane Mallarmé, Le silence déjà funèbre d’une moire.
RICHARD WAGNER, par Stéphane Mallarmé
Rêverie d’un poëte français.
Un poëte français contemporain, exclu de toute participation aux déploiements de beauté officiels, en raison de divers motifs, aime, ce qu’il garde de sa tâche pratiqué ou l’affinement mystérieux du vers pour de solitaires Fêtes, à réfléchir aux pompes souveraines de la Poésie, comme elles ne sauraient exister concurremment au flux de banalité charrié par les arts dans le faux semblant de civilisation. — Cérémonies d’un jour qui gît au sein, inconscient, de la foule : presque un Culte !
La certitude de n’être impliqué, lui ni personne de ce temps, dans aucune entreprise pareille, l’affranchit de toute restriction apportée à son rêve par le sentiment d’une impéritie et par l’écart des faits.
Sa vue d’une droiture introublée se jette au loin.
À son aise et c’est le moins, qu’il accepte pour exploit de considérer, seul, dans l’orgueilleux repli des conséquences, le Monstre–Qui–ne–peutÉtre ! Attachant au flanc la blessure d’un regard affirmatif et pur.
Omission faite de coups d’œil sur le faste extraordinaire mais inachevé aujourd’hui de la figuration plastique, d’où s’isole, du moins, en sa perfection de rendu, la Danse seule capable, par son écriture sommaire, de traduire le fugace et le soudain jusqu’à l’Idée — pareille vision comprend tout, absolument tout le Spectacle futur — cet amateur, s’il envisage l’apport de la Musique au Théâtre faite pour en mobiliser la merveille, ne songe pas longtemps à part soi.. déjà, de quels bonds que parte sa pensée, elle ressent la colossale approche d’une Initiation. Ton souhait, plutôt, vois s’il n’est pas rendu.
Singulier défi qu’aux poëtes dont il usurpe le devoir avec la plus candide et splendide bravoure, inflige Richard Wagner !
Le sentiment se complique envers cet étranger, transports, vénération, aussi d’un malaise que tout soit fait, autrement qu’en irradiant, par un jeu direct, du principe littéraire même.
Doutes et nécessité, pour un jugement, de discerner les circonstances que rencontra, au début, l’effort du Maître. Il surgit au temps d’un théâtre, le seul qu’on peut appeler caduc, tant la Fiction en est fabriquée d’un élément grossier : puisqu’elle s’impose à même et tout d’un coup, commandant de croire à l’existence du personnage et de l’aventure — de croire, simplement, rien de plus. Comme si cette foi exigée du spectateur ne devait pas être précisément la résultante par lui tirée du concours de tous les arts suscitant le miracle, autrement inerte et nul, de la scène ! Vous avez à subir un sortilège, pour l’accomplissement de quoi ce n’est trop d’aucun moyen d’enchantement impliqué par la magie musicale, afin de violenter votre raison aux prises avec un simulacre, et d’emblée on proclame : « Supposez que cela a eu lieu véritablement et que vous y êtes ! »
Le Moderne dédaigne d’imaginer ; mais expert à se servir des arts, il attend que chaque l’entraîne jusqu’où éclate une puissance spéciale d’illusion, puis consent.
Il le fallait bien, que le Théâtre d’avant la Musique partît d’un concept autoritaire et naïf, quand ne disposaient pas de cette ressource nouvelle d’évocation ses chefs–d’œuvre, hélas ! gisant aux feuillets pieux du livre, sans l’espoir, pour aucun, d’en jaillir à nos solennités. Son jeu reste inhérent au passé ou tel que le répudierait, à cause de cet intellectuel despotisme, une représentation populaire : la foule y voulant, selon la suggestion des arts, être maîtresse de sa créance. Une simple adjonction orchestrale change du tout au tout, annulant son principe même, l’ancien théâtre, et c’est comme strictement allégorique, que l’acte scénique maintenant, vide et abstrait en soi, impersonnel, a besoin, pour s’ébranler avec vraisemblance, de l’emploi du vivifiant effluve qu’épand la Musique.
Sa présence, rien de plus ! à la Musique, est un triomphe, pour peu qu’elle ne s’applique point, même comme leur élargissement sublime, à d’antiques conditions, mais éclate la génératrice de toute vitalité : un auditoire éprouvera cette impression que, si l’orchestre cessait de déverser son influence, le mime resterait, aussitôt, statue.
Pouvait–il, le Musicien et proche confident du secret de son Art, en simplifier l’attribution jusqu’à cette visée initiale ? Métamorphose pareille requiert le désintéressement du critique n’ayant pas derrière soi, prêt à se ruer d’impatience et de joie, l’abîme d’exécution musicale ici le plus tumultueux qu’homme ait contenu de son limpide vouloir.
Lui, fit ceci.
Allant au plus pressé, il concilia toute une tradition, intacte, dans la désuétude prochaine, avec ce que de vierge et d’occulte il devinait sourdre, en ses partitions. Hors une perspicacité ou suicide stérile, si vivace abonda l’étrange don d’assimilation en ce créateur quand même, que des deux éléments de beauté qui s’excluent et, tout au moins, l’un l’autre, s’ignorent, le drame personnel et la musique idéale, il effectua l’hymen. Oui, à l’aide d’un harmonieux compromis, suscitant une phase exacte de théâtre, laquelle répond, comme par surprise, à la disposition de sa race !
Quoique philosophiquement elle ne fasse là encore que se juxtaposer, la Musique (je somme qu’ on insinue d’où elle poind, son sens premier et sa fatalité) pénètre et enveloppe le Drame de par l’éblouissante volonté et s’y allie : pas d’ingénuité ou de profondeur qu’avec un éveil enthousiaste elle ne prodigue dans ce dessein, sauf que son principe même, à la Musique, échappe.
Le tact est prodige qui, sans totalement en transformer aucune, opère, sur la scène et dans la symphonie, la fusion de ces formes de plaisir disparates.
Maintenant, en effet, une musique qui n’a de cet art que l’observance des lois très complexes, seulement d’abord le flottant et l’infus, confond les couleurs et les lignes du personnage avec les timbres et les thèmes en une ambiance plus riche de Rêverie que tout air d’ici–bas, déité costumée aux invisibles plis d’un tissu d’accords ; ou va l’enlever de sa vague de Passion, au déchaînement trop vaste vers un seul, le précipiter, le tordre : et le soustraire à sa notion, perdue devant cet afflux surhumain, pour la lui faire ressaisir quand il domptera tout par le chant, jailli dans un déchirement de la pensée inspiratrice. Toujours le héros, qui foule une brume autant que notre sol, se montrera dans un lointain que comble la vapeur des plaintes, des gloires, et de la joie émises par l’instrumentation, reculé ainsi à des commencements. Il n’agit qu’entouré, à la Grecque, de la stupeur mêlée d’intimité qu’éprouve une assistance devant des mythes qui n’ont presque jamais été, tant leur instinctif passé se fond ! sans cesser cependant d’y bénéficier des familiers dehors de l’individu humain. Même certains satisfont à l’esprit par ce fait de ne sembler pas dépourvus de toute accointance avec de hasardeux symboles.
Voici à la rampe intronisée la Légende.
Avec une piété antérieure, un public, pour la seconde fois depuis les temps, hellénique d’abord, maintenant germain, considère le secret, représenté, d’origines. Quelque singulier bonheur, neuf et barbare, l’asseoit : devant le voile mouvant la subtilité de l’orchestration, à une magnificence qui décore sa genèse.
Tout se retrempe au ruisseau primitif : pas jusqu’à la source. Si l’esprit français, strictement imaginatif et abstrait, donc poétique, jette un éclat, ce ne sera pas ainsi : il répugne, en cela d’accord avec l’Art dans son intégrité, qui est inventeur, à la Légende. Voyez–le, des jours abolis ne garder aucune anecdote énorme et fruste, comme une prescience de ce qu’elle apporterait d’anachronisme dans une représentation théâtrale, Sacre d’un des actes de la Civilisation. À moins que la Fable, vierge de tout, lieu, temps et personne sus, ne se dévoile empruntée au sens latent en le concours de tous, celle inscrite sur la page des Cieux et dont l’Histoire même n’est que l’interprétation, vaine, c’est–à–dire un Poème, l’Ode. Quoi ! le siècle ou notre pays, qui l’exalte, ont dissous par la pensée les Mythes, pour en refaire ! Le Théâtre les appelle, non ! pas de fixes, ni de séculaires et de notoires, mais un, dégagé de personnalité, car il compose notre aspect multiple : que, de prestiges correspondant au fonctionnement national, évoque l’Art, pour le mirer en nous. Type sans dénomination préalable, pour qu’émane la surprise : son geste résume vers soi nos rêves de sites ou de paradis, qu’engouffre l’antique scène avec une prétention vide à les contenir ou à les peindre. Lui, quelqu’un ! ni cette scène, quelque part (l’erreur connexe, décor stable et acteur réel, du Théâtre manquant de la Musique) : est–ce qu’un fait spirituel, l’épanouissement de symboles ou leur préparation, nécessite endroit, pour s’y développer, autre que le fictif foyer de vision dardé par le regard d’une foule ! Saint des Saints, mais mental.. alors y aboutissent, dans quelque éclair suprême, d’où s’éveille la Figure que Nul n’est, chaque attitude mimique prise par elle à un rythme inclus dans la symphonie, et le délivrant ! Alors viennent expirer comme aux pieds de l’incarnation, pas sans qu’un lien certain les apparente ainsi à son humanité, ces raréfactions et ces sommités naturelles que la Musique rend, arrière prolongement vibratoire de tout comme la Vie. L’Homme, puis son authentique séjour terrestre, échangent une réciprocité de preuves. Ainsi le Mystère.
La Cité, qui donna, pour l’expérience sacrée un théâtre, imprime à la terre le sceau universel.
Voilà pourquoi, Génie ! moi, l’humble qu’une logique éternelle asservit, ô Wagner, je souffre et me reproche, aux minutes marquées par la lassitude, de ne pas faire nombre avec ceux qui, ennuyés de tout afin de trouver le salut définitif, vont droit à l’édifice de ton Art, pour eux le terme du chemin. Il ouvre, cet incontestable portique, en des temps de jubilé qui ne le sont pour aucun peuple, une hospitalité contre l’insuffisance de soi et la médiocrité des patries ; il exalte des fervents jusqu’à la certitude : pour eux ce n’est pas l’étape la plus grande jamais ordonnée par un signe humain, qu’ils parcourent avec toi comme conducteur, mais le voyage fini de l’humanité vers un Idéal. Au moins, voulant ma part du délice, me permettras–tu de goûter, dans ton Temple, à mi–côte de la montagne sainte, dont le lever de vérités, le plus compréhensif encore, trompette la coupole et invite, à perte de vue du parvis, les gazons que le pas de tes élus foule, un repos : c’est comme l’isolement, pour l’esprit, de notre incohérence qui le pourchasse, autant qu’un abri contre la trop lucide hantise de cette cime menaçante d’absolu, devinée dans le départ des nuées là–haut, fulgurante, nue, seule : au delà et que personne ne semble devoir atteindre. Personne ! ce mot n’obsède pas d’un remords le passant en train de boire à ta conviviale fontaine.
Aube
J'ai embrassé l'aube d'été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route
du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes
se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq.
A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre,
je la chassais.
En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu
son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi.
Arthur Rimbaud, Illuminations.
La chevelure vol d’une flamme à l’extrême
Occident de désirs pour la tout déployer
Se pose (je dirais mourir un diadème)
Vers le front couronné son ancien foyer
Mais sans or soupirer que cette vive nue
L’ignition du feu toujours intérieur
Originellement la seule continue
Dans le joyau de l’oeil véridique ou rieur
Une nudité de héros tendre diffame
Celle qui ne mouvant astre ni feux au doigt
Rien qu’à simplifier avec gloire la femme
Accomplit par son chef fulgurante l’exploit
De semer de rubis le doute qu’elle écorche
Ainsi qu’une joyeuse et tutélaire torche.
Stéphane Mallarmé.
Le feu marche avec moi...
A Marion aka Petite aile.
Chosen
Que tu dégages de ma vue...
Buffy The Slayer
Plainte d’automne
Depuis que Maria m’a quitté pour aller dans une autre étoile — laquelle, Orion, Altaïr, et toi, verte Vénus ? — j’ai toujours chéri la solitude. Que de longues journées j’ai passées seul avec mon chat. Par seul, j’entends sans un être matériel et mon chat est un compagnon mystique, un esprit. Je puis donc dire que j’ai passé de longues journées seul avec mon chat et, seul, avec un des derniers auteurs de la décadence latine ; car depuis que la blanche créature n’est plus, étrangement et singulièrement j’ai aimé tout ce qui se résumait en ce mot : chute. Ainsi, dans l’année, ma saison favorite, ce sont les derniers jours alanguis de l’été, qui précèdent immédiatement l’automne et, dans la journée, l’heure où je me promène est quand le soleil se repose avant de s’évanouir, avec des rayons de cuivre jaune sur les murs gris et de cuivre rouge sur les carreaux. De même la littérature à laquelle mon esprit demande une volupté sera la poésie agonisante des derniers moments de Rome, tant, cependant, qu’elle ne respire aucunement l’approche rajeunissante des Barbares et ne bégaie point le latin enfantin des premières proses chrétiennes. Je lisais donc un de ces chers poèmes (dont les plaques de fard ont plus de charme sur moi que l’incarnat de la jeunesse) et plongeais une main dans la fourrure du pur animal, quand un orgue de Barbarie chanta languissamment et mélancoliquement sous ma fenêtre. Il jouait dans la grande allée des peupliers dont les feuilles me paraissent mornes même au printemps, depuis que Maria a passé là avec des cierges, une dernière fois. L’instrument des tristes, oui, vraiment : le piano scintille, le violon donne aux fibres déchirées la lumière, mais l’orgue de Barbarie, dans le crépuscule du souvenir, m’a fait désespérément rêver. Maintenant qu’il murmurait un air joyeusement vulgaire et qui mit la gaîté au cœur des faubourgs, un air suranné, banal : d’où vient que sa ritournelle m’allait à l’âme et me faisait pleurer comme une ballade romantique ? Je la savourai lentement et je ne lançai pas un sou par la fenêtre de peur de me déranger et de m’apercevoir que l’instrument ne chantait pas seul.
Stéphane Mallarmé, Divagations.
Dans l'oeil de Kubrick
Ode à Meiko
The Lovers
d'Utamaro...
Voulez-vous vous joindre à nous ?
Voulez-vous vous joindre à nous ?
Voir / écouter Nang Nak et mourir...
Voir / écouter Il était une fois en Chine et bondir...
A Valentine et à ses joies futures...
Buffy : Ok. Je suis un gâteau. Je n’ai pas fini de cuire. Je n’ai pas encore pris ma forme définitive de joli gâteau.
Je dois traverser cette épreuve, puis une autre, et peut-être qu’un jour, je m’apercevrai que je suis prête.
Que je suis un gâteau. Et si alors, je veux que quelqu’un me bouffe, ou plutôt se régale d’une petite part de mon délicieux gâteau tout chaud, çà me va très bien. Ce sera le moment. Quand je serai cuite.
Angel : La pensée qu’on puisse se régaler… Je dois reprendre ton histoire de gâteau ?
A Marion.
Quand les hommes ont rendez-vous…
Dans L’armée des ombres ou Le cercle rouge, par Jean Pierre Melville et Eric Demarsan, Jean Pierre Cassel et Paul Crauchet, Lino Ventura et Paul Meurisse, Alain Delon et Gian Maria Volonté…
Bretonne
Sur les hautes falaises toisant le Ciel, ou sur l'océan indompté,
Me voilà si grande, à prier à toutes les marées,
Et si humble, à plier à tous les vents,
Pour danser à la lune venue,
Et célébrer cette Bretagne si chère à tous les sens, comme aux plus profonds tourments,
Tout autant que les planètes et les soleils grandioses au-dessus…
L’âne songeait, passif, sous le fouet, sous la trique,
Dans une profondeur où l’homme ne va pas.
Victor Hugo, Au hasard Balthazar aussi.
Mon dieu, c’est plein d’étoiles…
Explosions in the sky and in the hearts...
Aux lumières du vendredi soir et au ciel du samedi...
Clear Eyes, Full Hearts, Can’t lose…
Texas pour toujours…
Friday Night Lights aussi…
Jesse Pinkman, by the great Aaron Paul, dentro de la sublime serie Breaking Bad. Peekaboo Captain Cook. I’ve seen things you people wouldn’t believe… It's full of stars...
Mais qu'avez-vous fait à Lucie ?
dans la voix de Nico...
Je suis fatigué, je suis las
Je pourrais dormir pendant mille ans
Un millier de rêves qui me réveilleraient
Différentes couleurs faites de larmes
Venus in furs, The Velvet Underground and Nico
Signé Grace Slick
Dans la voix de Grace
Voyage au pays du lapin blanc...
Une pilule te fait devenir plus grand, et une pillule te fait retrecir
Et celles que maman te donne ne font rien du tout
Va demander à Alice, quand elle mesure 10 pieds
Et si tu vas chasser les lapins, et que tu sais que tu vas tomber
Raconte leur que la chenille qui fume le narguilé a appelé
Et appelle Alice, quand elle est juste petite
Quand les hommes sur l'échiquier, se levent et te disent où aller
Et tu viens juste de prendre quelque chose comme des champignons, et ton esprit descends
Va demander à Alice, je pense qu'elle sait
Quand la logique et les proportions sont mortes négligemment
Et le chevalier blanc parle a l'envers
Et la dame de coeur veut lui couper la tête
Souviens toi de ce que le loir dit :
Nourris ta tête, nourris ta tête...
Ton souffle est doux
Tes yeux au ciel comme des bijoux
Ta loyauté n’est pas à moi
Mais aux étoiles d’en haut…
Dit le Nexus...
On eut dit que son regard, autrefois farouche, avait trouvé son apocalypse. Soit sa grande joie et sa grande paix. Il en était différemment pour ses bourreaux. Pour eux, ses yeux, autrefois de feu, étaient devenus deux trous noirs. Pour les engloutir.
Dit Ivan. Dit Andreï...
Sur les lèvres de Rachel, s'épanouir et mourir comme un flocon de neige...
Révéler, chez Wong Kar-wai, le langage secret de la bouche de Zhang Ziyi, dire qu'il échoue en fumerolles de cigarettes, qui deviennent autant de nuages flottants, soit de célestes mirages, dire aussi qu’une larme de Zhang a la pureté de l'opale et la grâce d’une note de piano de Philip Glass, dire enfin qu’une Zhang, visage de fleur et teint de neige, a tout d’une Taizhen (Très pure essence).
Dire, dans Andreï Roublev, que les mains et les visages des humbles se trouvent pénétrés de la grâce et de la miséricorde des anges.
Dire, d'Andreï Roublev, qu'il fait parler avec une tendre sonorité et une profonde sensualité la pluie et la flore des ruisseaux, les oiseaux et les chevaux, qu'il entretient un lien organique et mystérieux avec la neige et le feu, le bruissement des arbres et la caresse du vent, la brume et le temps.
… et les feux crépitants que voit Andreï embrasent les visages souriants penchés sur les flammes oranges, autour desquelles des jeunes garçons et des jeunes filles en vêtements flottants se poursuivent en poussant des cris de joie,
et, incliné vers un feu, le mince bouleau nimbé de ses premières feuilles délicates, sur les branches duquel des jeunes femmes et des jeunes filles nouent des rubans de cotonnade à toute vitesse, c’est à qui ira le plus vite,
et le cavalier nu montant à cru un cheval blanc à la longue crinière et à la queue déployée, galopant vers la rivière inondée des reflets de la lune d’argent ronde qui vient de se lever au-dessus de l’autre rive,
et les corps nus et vigoureux des garçons et des filles s’enfonçant jusqu’aux genoux dans l’eau qui flamboie au clair de lune,
et le hennissement du cheval qui entre dans la rivière au grand galop,
et les rires,
et les cris,
et les grands gestes des bras blancs comme la craie dans l’air sombre de la nuit,
et les longues étreintes laborieuses des couples sur la terre féconde et bienfaisante qui s’étire, entourée de gens amoureux de leur champ labouré et plongés dans un silence solennel…
Extrait du scénario d’Andreï Roublev écrit par Andreï Tarkovski.
Walk through the fire...
A la recherche de l'accord parfait
On l’a dit, la vérité du cinéma est bien souvent de relater un désir d’étreinte. La vérité de Gosha est de raconter et de chorégraphier des corps à corps, soit d’intenses saillies, urgentes et fulgurantes. De mettre en scène une obsession charnelle qui, toujours, conduit à une éjaculation sanglante. De filmer des corps tatoués chargés d’érotisme donner la mort et la recevoir, de filmer des femmes fatales fondre sur une proie, sein nu et tanto entre les dents. De voir des corps s’attirer l’un l’autre comme des aimants tragiques, s’exciter, se pénétrer, pour dans la mort rester collés l’un à l’autre. Enfin, de filmer, dans Chasseurs des ténèbres, La mort des amants de Baudelaire.
Nous aurons des lits plein d’odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d’étranges fleurs sur des étagères,
Ecloses pour nous sous les cieux plus beaux.
Usant à l’envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.
Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d’adieux ;
Et plus tard un Ange, entr’ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.
Charles Baudelaire.
Vous venez de voir Profondo rosso…
Nous dit le générique de fin du maître giallo. Qui, davantage qu’un simple reflet, fige un regard à l’envers. La vérité est souvent à cette condition, nous dit ainsi Dario Argento, pour qui la quête et ses aléas/affres disent et valent plus que la révélation.
A raconter des dilemnes et des résistances, 24 culmine lors de ses abandons et lors de ses délivrances.
Après avoir conçu et mis en scène des vies en split-screens pour traduire lesdits dilemnes et résistances, 24 finit sur un gros plan, celui du visage de son héros, Jack Bauer, filmé par un drone qui comme une étoile apparait dans un ciel chargé, celui des Etats-Unis d'Amérique.
Coupe la transmission…
24 : 00 : 00 : 00
Tiens, çà c’est pour la douleur…
Vous venez de voir 24...
James Stewart, en 1968, n’est plus tout jeune. Quand il pleure Dean Martin à la fin de Bandolero, son visage a beau être bouffi par le poids des années passées à manger la poussière pour le compte d’Anthony Mann ou de John Ford, ses larmes sont faites du minerai le plus précieux, du sel le plus authentique. A quoi pense t-il, James, quand il joue cette scène ? Qu’il pleure dans un western pour la dernière fois ? A quoi pense t-il quand il s’écroule une fois les larmes versées ? Qu’il ne fera peut-être plus jamais semblant de s’écrouler dans la poussière, à un souffle d’une cantina ?
Qu’il est touchant le final de Bandolero. Deux frères qui finissent côte à côte, six pieds sous la terre d’un village mexicain abandonné à la poussière du temps. Deux tombes voisines qui regardent dans la même direction, le même rêve : le lointain Montana, plus vraiment loin à vols d’âmes.
Bandolero
Dans les bras de Karl le SS, elle réintègre son identité et redevient Edith la juive qui, à 14 ans, avait été soustraite de ses parents, partis pour la chambre à gaz. Edith demande à Karl de lui retirer son insigne de kapo et récite une prière.
Lui, Sasha, n’a pas couru. Il est resté dans la fosse, parmi les cadavres. D’avoir perdu Edith, sa bouche s'est faite trou noir et ne se referme plus. Emportant beaucoup du monde qui va leur survivre. Un monde qui ne sera plus le même sans Edith et Sasha.
Rivette et Daney n’avaient rien compris.
Kapo
Tsunami
d’âme…
avalant des nuages
puis recrachant des pétales
le mont Yoshino (Akitsu aussi)
Buson (et Yoshida)
Courte est la vie des fleurs,
infinies leurs douleurs
Mikio Naruse
Le papillon
Naître avec le printemps, mourir avec les roses,
Sur l’aile du zéphyr nager dans un ciel pur,
Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses,
S’enivrer de parfums, de lumière et d’azur,
Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,
S’envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté!
Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté !
Alphonse de Lamartine.
A celui qui a vu l’ange. Et le rayon qu’il a apporté au monde…
Tout est lumière, tout est joie.
L'araignée au pied diligent
Attache aux tulipes de soie
Ses rondes dentelles d'argent.
La frissonnante libellule
Mire les globes de ses yeux
Dans l'étang splendide où pullule
Tout un monde mystérieux !
La rose semble, rajeunie,
S'accoupler au bouton vermeil ;
L'oiseau chante plein d'harmonie
Dans les rameaux pleins de soleil.
Sa voix bénit le Dieu de l'âme
Qui, toujours visible au cœur pur,
Fait l'aube, paupière de flamme,
Pour le ciel, prunelle d'azur !
Sous les bois, où tout bruit s'émousse,
Le faon craintif joue en rêvant ;
Dans les verts écrins de la mousse
Luit le scarabée, or vivant.
La lune au jour est tiède et pâle
Comme un joyeux convalescent ;
Tendre, elle ouvre ses yeux d'opale
D'où la douceur du ciel descend !
La giroflée avec l'abeille
Folâtre en baisant le vieux mur ;
Le chaud sillon gaiement s'éveille,
Remué par le germe obscur.
Tout vit, et se pose avec grâce,
Le rayon sur le seuil ouvert,
L'ombre qui fuit sur l'eau qui passe,
Le ciel bleu sur le coteau vert !
La plaine brille, heureuse et pure ;
Le bois jase ; l'herbe fleurit...
- Homme ! ne crains rien ! la nature
Sait le grand secret, et sourit.
Victor Hugo, Les rayons et les ombres. Tarkovski et Ray aussi.
Le jour qui va commencer ne finira pas. Il ne va finir que pour les autres. Ce sont les autres qui basculeront tout à l’heure dans les ténèbres. Pas nous. Regarde, mon amour : la nuit ne se déchire pas pour se refaire aussitôt. Regarde : cette lumière. Elle ne nous abandonnera pas. C’est maintenant que tout commence pour nous. Maintenant avec cette Aube.
Michel Le Royer alias Maurice Lindet, à Geneviève, dans Le chevalier de Maison Rouge. Quand la France avait une voix et un regard flamboyants. Quand elle faisait pleurer.
Car la lune toujours est son berger, le coeur d’un loup ne craint pas d’être un jour trompé. Il n’en va pas de même pour le coeur d’un homme, qui, de contradictions en trahisons, trop souvent épris d’aveuglants soleils et de folles convictions, ne plait à l’univers que par la caresse de ses poèmes et l’ivresse de ses chansons, la grandeur de ses palais et la beauté de ses chimères. Heureux qui danse avec les loups sur la lune argentée, béni celui qui, dans les forêts argentines, hurle de concert la nuit tombée. Car Lady est morte, ce poème.
Apparition
La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant, l’archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles.
- C’était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S’enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d’un Rêve au coeur qui l’a cueilli.
J’errais donc, l’oeil rivé sur le pavé vieilli
Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m’es en riant apparue
Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées.
Stéphane Mallarmé.
Rêve antique
Elle est dans l’atrium la blonde Lycoris
Sous un flot parfumé mollement renversée.
Comme un saule jauni s’épand sous la rosée,
Ses cheveux sur son sein pleuvent longs et fleuris.
Dans les roseaux, vis-tu, sur un fleuve bleuâtre,
Le soir, glisser le front de la pâle Phoebé ?
- Elle dort dans son bain et sa gorge d’albâtre,
Comme la lune, argente un flot du ciel tombé.
Son doigt qui sur l’eau calme effeuillait une rose
Comme une urne odorante offre un calice vert :
Descends, ô brune Hébé ! verse de ta main rose
Ce vin qui fait qu’un coeur brûle, à tout coeur ouvert.
Elle est dans l’atrium la blonde Lycoris
Sous un flot parfumé mollement renversée :
Comme ton arc d’argent, Diane aux forêts lancée,
Se détend son beau corps sous ses amants choisis.
Stéphane Mallarmé.
Enfin Moi…
Dit le fou au voleur…
Bang Bang. Le coeur était si pressé de La retrouver, et à son long hiver d'échapper, qu’il trouva son Big Bang. Il pleura alors des larmes d’étoiles. Et se fit pur regard, pour se faire pur accord avec un horizon sans frontières. Le coeur était si pressé de La retrouver…
Respire-moi !
Dit-Elle à l’Univers…
You can’t take pictures of this, lui dit-Il…
Dans les jardins du paradis, prends ma main...
Tigre, Tigre, feu et flamme,
Dans les forêts de la nuit,
Quelle main, quel oeil immortels
Purent façonner ton effrayante symétrie ?
Dans quels cieux ou abîmes insondés
A brûlé le feu de tes yeux ?
Quelle aile osa y aspirer ?
Quelle main osa saisir ce feu ?
Quel bras, quel art
Tordirent les fibres de ton coeur ?
Écoute comme il bat !
Quelle terrible main, quels terribles pieds ?
Quelle chaîne, quel marteau ?
De quel brasier fut ton cerveau
Et l'enclume ? Quelle poigne cruelle
Osa étreindre ses terreurs mortelles ?
Quand les étoiles jetèrent leurs armes,
Et baignèrent le ciel de leurs larmes,
A-t-il souri son oeuvre accomplie ?
Celui qui fit l'agneau, est-ce lui qui te fit ?
Tigre, Tigre, feu et flamme,
Dans les forêts de la nuit,
Quelle main, quel oeil immortels
Osèrent ton effrayante symétrie ?
William Blake
Qui, comme Michael Mann, raconte des histoires de solitudes, raconte forcément des désirs d’étreinte, donc l’envie farouche de sentir gonflés un coeur désert(é) ou inassouvi et le coeur d’autrui, fut-il déjà épris et fut-il dans la peur et la mort. Qui raconte des désirs de coeurs gonflés peut raconter aussi des histoires de tueurs et de chasseurs. Le sixième sens est né du désir de voir un serial killer goûter devant un lit d’étoiles sa première expérience charnelle dénuée de violence. Après avoir invité sa partenaire à s’enivrer des battements du coeur d’un tigre endormi.
Décroche-moi la lune...
Corri uomo corri...
L’immortel, ce joyau,
se vante, non de ses longues années,
mais de l’éclat lumineux d’un instant.
Rabindranâth Tagore, Les lucioles. John Ford aussi.
Paresseuse, pourquoi t’entêtes-tu à attendre la pluie ?
Qu’attends-tu, jeune fille, pour rentrer à la maison ?
Paresseuse, pourquoi restes-tu là à danser sous la pluie ?
Sayonara Mademoiselle Petit caillou
Gil Grissom by William Petersen. Made in C.S.I.
Quelle est la vérité du cinéma ? On l’a vu, bien souvent un désir d’étreinte. Quelle est celle d’Un flic ? Celle d’un poème couchant de Verlaine. Soit une larme, bleue rimelle, d’un poignant travesti éconduit par ledit flic campé par Alain Delon. Donc, un désir d’étreinte échoué entre le flic et le travesti en question. Autrement dit, un personnage qui, comme Melville, s’est inventé une vie, qui aurait aimé être quelqu’un d’autre. Le coeur secret du film réside dans cette délivrance lacrymale, dans cette échappée belle et douloureuse, dans cette vérité. A filmer également le désir d’étreinte de son âme bleue avec l’océan souverain, Melville entendait aussi filmer L’homme et la mer de Baudelaire.
Robin de Baltimore
Am I Black enough for you ?
Omar Little by Michael K. Williams. Made in Baltimore, U.S.A. Son Scarface a un coeur énorme.
All in the game, yo. Siesta, yo…
Film sur les atomes et les photons, se débattant au sein du grand cosmos pour trouver leur petit bout de paradis, polar déjanté qui part dans tous les sens mais qui au final en trouve un beau, le métrage des frères Hark, Lam et To emprunte beaucoup à l’électricité. Triangle raconte l’aventure d’électrons en folie, des électrons libres, à qui on assigne néanmoins un but : amener la lumière. Et la lumière fut, grâce à l’électron de valence du trio, grâce au génie de Johnnie To.
L’électricité ressemble à un effort de la matière pour devenir esprit. On dirait que la matière, par l’électricité, essaie d’avoir une extase.
Ernest Hello.
Mata nochihodo Hideko
Il faut que je sorte d’ici
Dit le fou au voleur.
Tout se mélange
Je suis pris au piège…
Boris Vassilieff dit Trinitrotoluène. Par Francis Blanche.
Deux hommes lui donnèrent leur bénédiction. Quatre autres agitèrent des amulettes et lui lancèrent un sort. Il laissa trop d’argent sur le comptoir.
Il ressortit. Le ciel respirait. Il palpa la texture de la lune. Les cratères devinrent des mines d’émeraudes.
Une ruelle apparut. Un coup de vent l’y entraîna. Des feuilles s’agitaient et lancaient des arc-en-ciel tourbillonnants. Trois hommes sortirent d’un rayon de lune. Ils portaient des coupe-coupe dans des fourreaux. Ils avaient des ailes d’oiseaux à l’endroit où auraient dû se trouver leurs bras droits.
- Que la paix soit avec vous.
Ils sortirent leurs coupe-coupe et le massacrèrent sur place.
J’ai fait un Rêve,
Au cours duquel j’ai retrouvé Reggie et parlé avec lui sur un bord de mer dans un pays étrange. Il m’a offert une émeraude. La dernière. J’ai été tué dans un rayon de lune. J’ai dansé sur la lune avec les Indiens Muzo. Je les ai vengé aussi. J’ai été tué en voyant des rayons fabuleux. J’ai été tué par des gens qui m’ont dit des choses étonnantes. J’ai libéré des esclaves, j’ai libéré des femmes et des enfants promis aux crocos et au bûcher. J’ai fumé des herbes pour danser avec des esprits. J’ai vu des diables et des anges. J’ai fait l’amour à une Déesse qui m’a dit des choses étonnantes sur l’Amérique. J’ai dansé avec des flammes vertes.
Je suis Crutch.
Je suis Wayne Tedrow Junior.
Je suis Marsh Brown.
Je suis Reginald Hazzard.
J’ai éteint la lumière. Tenant au creux de ma main l’émeraude de Reginald, je me suis posté devant la fenêtre. L’effet des herbes commençait à se faire sentir. La lune transformait l’émeraude en prisme. Des gens entraient dans les rayons du prisme et en ressortaient, et ils me disaient des choses étonnantes.
Un groupe d’hommes se forme, dehors, en ce moment même. Ils lèvent les yeux vers moi. Ils sont armés de coupe-coupe qu’ils portent dans des fourreaux. Ils ont un bras gauche et une aile à la place du bras droit.
Je sens que mon corps se fige peu à peu. Mes pensées se dispersent dès que je commence à les élaborer. Dans un instant, je vais mâcher le stylo avec lequel j’écris. Les hommes ailés pénètrent dans l’hôtel, à présent. J’ai laissé la porte ouverte pour eux.
Paulie Walnuts by Tony Sirico. Made in The Sopranos.
Wanted
Boss et fusible pour F.B.I. Chanteur hors pair. Corrado Soprano dit Oncle Junior. Made by Dominic Chianese.
Originals gangsters
Mais qu’est-ce que je vais devenir ? Je suis ministre, je ne sais rien faire…
La folie des grandeurs. Made in Louis de Funès.
L’enfer est à lui…
By James Cagney.
Born to eat and to be wild. To be a serial killer and a serial fucker, or not to be.Tony Soprano and Co. NC-17 rated. May contain very strong sexual or offensive language, strong explicit nudity, very strong gore or disturbing violence, or graphic drug abuse. Made in New Jersey, U.S.A. An american history X and way of life.
Dire de L’adversaire qu’il raconte l’obsession première de son auteur : voir, entendre, sentir et goûter à nouveau son enfance perdue, pour retrouver sa pureté et son innocence, son âme farouche et rebelle. Dire que le cinéma de Satyajit Ray est voué à retrouver l’odeur envoûtante du frangipanier au pied duquel il se réfugiait pour révasser et se prélasser, à réintégrer la lumière d’un paradis immaculé duquel il s’est exilé, à en réacquérir ses bruits et ses charmes, à percevoir de nouveau le chant d’un oiseau, qui, jamais, ne pourra chanter le même refrain enchanté dans une cage d’un marché de Calcutta. Dire enfin que Satyajit Ray, précellent à filmer des jeunes filles en fleurs, l’est aussi à filmer de suprêmes échappées, et de sublimes haikus…
Powhatan était parent du loup et de l’abeille,
Frère du noyer blanc.
Fils du coup de foudre écarlate
Et du chêne foudroyé.
Sa grâce féline s’épanouit chez la jeune femme
Qui riait dans les bourrasques et jouait
De sa fierté sauvage avec brio,
Charmant la forêt, les yeux ouverts,
Au printemps,
En Virginie,
Ô Notre Mère, Pocahontas.
Vachel Lindsay, Our Mother Pocahontas.
Nous avons vu tant de choses que vous, visages pâles, ne pourriez pas croire, ni voir ; nous avons vu des cascades de cristal arroser des nuages, et vu ces nuages ravir le coeur de nos frères, nous avons vu de grands et terribles fauves pleurer la grâce de nos soeurs, et vu nos soeurs dompter leurs rêves de conquête ; car nos yeux étaient plein de joies et de chimères, et que nos lits étaient faits de mousse et d’étoiles, nos âmes étaient argentines et nos palais infinis…
Le nouveau monde et Avatar
Le nouveau monde et Avatar
Chaiyya Chaiyya
Unité
Par-dessus l’horizon aux collines brunies,
Le soleil, cette fleur des splendeurs infinies,
Se penchait sur la terre à l’heure du couchant ;
Une humble marguerite, éclose au bord d’un champ,
Sur un mur gris, croulant parmi l’avoine folle,
Blanche épanouissait sa candide auréole ;
Et la petite fleur, par-dessus le vieux mur,
Regardait fixement, dans l’éternel azur,
Le grand astre épanchant sa lumière immortelle.
«Et, moi, j’ai des rayons aussi !» lui disait-elle.
Victor Hugo, Les contemplations.
A la recherche de Voyou
A l’ombre du dernier tamala, le grand fauve trouva son dernier refuge.
La lune, et ses mines d’opales, éclairaient une âme à la recherche d’un royaume perdu.
A la lumière des étoiles et des galaxies, le dernier tigre rêvait de ses frères et soeurs.
Va, pensièro
D’avoir arrangé à Verdi un rendez-vous avec la lune, d’avoir célébré ses paniques et ses saillies sanglantes en les associant au choeur du Nabucco dudit compositeur, et inversement, d’avoir élevé le regard et l’ouïe tout en excitant l’épiderme, Argento, dans Inferno, faisait sienne la poésie de Baudelaire qui veut que la fleur est parfois la promise du mal, que la rose est faite aussi de son épine, que le tombeau le plus beau appartient aussi au ver qui ronge son locataire. Et d’offrir au spectateur tout à la fois un opéra et un voyage à n’en croire ni ses yeux ni ses oreilles, ni son cerveau ni son coeur.
Depuis le seuil d’une maison, John Ford filmait le deuil d’une présence et l’attente de son retour. Clint Eastwood, dans Gran Torino, filme le crépuscule et le deuil d’une existence.
Quelle est la beauté et la vérité de Public Enemies ? Qu’il est né du désir de voir un lagon pleurer son écueil, et vice-versa.
Bye Bye Blackbird...
Ecoute, mon coeur ; dans cette flûte chante
la musique du parfum des fleurs sauvages,
des feuilles étincelantes et de l’eau qui brille ;
la musique d’ombres sonores, d’un bruit d’ailes et d’abeilles.
Rabindranâth Tagore. Kajol aussi, pour Shah Rukh.
Le lotus préfère s’épanouir au soleil et mourir, plutôt que de vivre en bouton
un éternel hiver.
Rabindranâth Tagore.
Dire, chez Mikio Naruse, que d’une larme d’Hideko affleure la promesse d’un sourire. Et inversement.
Dans sa prison de glace,
une libellule rêve
au paradis des libellules :
un souvenir qui en secret aspire à mourir,
une âme gelée qui regarde un sourire en peine…
Love Letter de Shunji Iwai.
A ma Buffy, The Mouse Slayer.
Pourchassées,
les lucioles se cachent
dans les rayons de la lune
Oshima Ryôta. Isao Takahata aussi.
Quelles sont les limites au pouvoir du cinéma ? Aucune, nous répond Isao Takahata en nous racontant l’histoire bouleversante de deux jeunes orphelins dans le Japon de 45 en proie à la faim et à un déluge de bombes américaines. Aucune, car durant le film, et longtemps après, le monde nous est ravi. Nous obligeant à continuer d’entendre Seita chanter à tue-tête l’hymne de la marine japonaise, comme autrefois les anciens combattants d’Ozu. Nous obligeant à continuer de voir Setsuko faire la fofolle un drap blanc sur la tête et jouer à ce qu’elle va devenir, ou serrer contre elle sa poupée de chiffon alors que son regard s’éteint tout doucement, à pleurer de chaudes larmes quand Seita se résoud à refermer le carton. Le film de Takahata convoque les petits fantômes d’Hiroshima ou de Nagasaki, de Dresde ou d’Auschwitz, de Stalingrad ou de Varsovie. Convoque la petite soeur d’Akiyuki Nosaka. Aucune limite, car Isao Takahata, à la fin du film, nous oblige à croire aux fantômes, à croire à un happy end, à croire que Setsuko et Seita, soustraits du bruit et de la brutalité du monde, continuent à vivre en compagnie des lucioles de leur étang préféré, à manger leurs bonbons multicolores favoris, à vivre sans restriction la poésie du monde. Aucune limite donc à l’implication, car à la fin de l’histoire, il nous plait à aimer que le monde n’appartient plus qu’à Setsuko et Seita qui, retirés de la civilisation galopante, continueront à vivre côte à côte longtemps après sa chute.
A la recherche de Cuba
Je suis Cuba. Une fois, Colomb débarqua ici. Il écrivit dans son journal : “C’est la plus terre que des yeux d’humains aient contemplée. Merci, Senior Colomb ! Quand vous m’avez vue pour la première fois, je chantais et je riais, je saluai les voiles avec mes palmes. Je crus que vous m’apportiez le bonheur. Je suis Cuba. Mon sucre, les caravelles l’emportaient… mes larmes, elles les laissaient. Quelle chose étrange que le sucre, Senior Colomb. Que de larmes en lui. Pourtant, il est doux.
Holà chica
La nuit s’achève sur Miami. Le fracas des armes et le fracas des âmes se sont tus. La nuit, électrique et fièvreuse, fut traversée par deux ondes contraires, Sonny et Isabella. Contraires au mouvement du monde. Durant une brève échappée, sur les terres cubaines où les jours et les nuits, à l’image des corps, fébriles et fragiles, denses et intenses, se déroulent hors du temps. Où la vie ne se reflète pas sur un écran espion mais sur des visages ensoleillés. Où la vie ne se projette pas sur des écrans géants high tech, mais dans les yeux et les sourires amoureux des chicas. Où la vie ne se mesure pas en kilomètres seconde, mais dans l’air du temps. Où elle ne se calcule pas dans l’urgence du moment, dans une boîte de nuit ou dans une limousine, mais s’épanouit sous des douches ou dans des lits irradiés. Où l'âme ne se dévoile pas dans d’immaculées villas, vides de passé, vides d’avenir, mais dans de blanches casas ou de jaunes cafés, chargés de souvenirs. Où la musique, joyeuse et sensuelle, à ciel ouvert, épouse la volonté d’ivresse des corps et des esprits, au lieu de vouloir les exciter dans la frénétique sonorité. Où le fracas des coeurs et des corps n’est pas dicté par les saillies automatiques et la blanche explosion, mais battent et s’emballent en concert et dans l’harmonie. C’était trop beau pour durer. Face à l'océan houleux, juste avant que la nuit ne s'oublie, Sonny et Isabella échangent une dernière caresse, un dernier baiser, un dernier regard, avant de réintégrer le courant.
Recherché dans 14 comtés de cet Etat, le condamné Tuco Benedicto Pacifico Juan-Maria Ramirez a été reconnu coupable de meurtre, attaque à main armée de citoyens, de banques et de postes, vol d’objets sacrés, incendie criminel, faux témoignage, bigamie, abandon du domicile conjugal, incitation à la prostitution, kidnapping, extorsion de fonds, vente et recel d’objets volés, émission de fausse monnaie, utilisation de cartes biseautées, meurtre, viol d’une vierge de race blanche, détournement d’une mineure de race noire.
Autrement dit, le héros de l'histoire chez Sergio Leone.
Companeros
Pour un dollar…
Vamos a matar companeros…
Pour un penny...
Alors qu’est-ce qu’on fait ? On continue dans la grâce ?
Ne nous fâchons pas de Georges Lautner et Michel Audiard.
Bip bip et Coyote qui s'en vont en guerre...
Chrétiens, venez tous écouter une complainte véritable, celle de trois monstres inhumains, leurs crimes sont épouvantables. Il y a de cela cent vingt ans, ils assassinaient les passants. A Peyrebeille, en Vivarais, dans le département d’Ardèche, sur une route isolée, ils établirent leur commerce, l’auberge est sur le grand chemin où ils égorgèrent les humains. Ces monstres avaient une fille et, bien qu’elle soit si gentille, elle n’avait pas d’amant. Connait-on beaucoup d’auberges où, du soir jusqu’au matin, une fille reste vierge comme la fille Martin ? On ne pourra jamais savoir le nombre de victimes, on les porte à cent trente trois mais il y en a peut-être mille. Fremissez tout noisillon des crimes de cette maison. On avait dans la montagne pour Martin et sa compagne de la considération. En les sachant à leur aide, on croyait à leur vertu, car souvent, ne vous en déplaise, l’estime suit les écus. Joueur d’orgues de barbarie, ce pauvre diable un soir de neige avec un singe travesti à l’auberge fut pris au piège.
A gauche, c’est la forêt, donc les loups ; à droite, c’est le précipice...
Tsunami
de pétales…
Kijû Yoshida soit loué d’avoir dit que du sang versé d’Akitsu la Voie lactée bien qu’attristée en soit constellée.
de larmes…
Aidez-moi, aidez-moi…
Tremblement d’âme…
Signé Akira Kurosawa.
Flower of carnage
Ceux qui sont encore en vie, profitez-en pour le rester, tirez-vous ! Mais laissez les membres que vous avez perdus. Désormais, ils m’appartiennent.
Peter Jackson soit loué d’emprunter beaucoup à la poésie de Victor Hugo : d’embrasser aussi bien le rêve des anges et des petits que la légende des rois, la caresse d’un regard et d’une brise que le fracas des épées et le vent de l’épopée, l’éclosion et le baiser d’une fleur que l’éruption et l’explosion d’un volcan. D’être ordonné aussi par les rayons et les ombres, de faire sienne l’idée que la beauté est à la fois ardente et mélancolique, l’idée aussi qu’un palais n’est rien sans sa rose et la femme à qui elle est dédiée, l’idée que cette rose vouée à lui rendre hommage, et inversement, peut, en se fanant ou par son épine, l’en affecter. De dire qu’un regard de Kong peut être aussi bien une caresse qu’un ouragan. D’avoir serti des cités fabuleuses ou des vestiges ô combien poétiques dans des montagnes, des vallées ou des forêts fantasmagoriques, pétrifié des anges ou des démons pour veiller sur des âmes blanches ou noires, levé des colosses et des tours monstrueuses, ou bien encore des légions de créatures effrayantes pour en suspendre les horreurs en filmant le vol d’un papillon.
A King Kong qui apprend aux bus et aux blondes à voler…
Fin de cavale. Signé Sam Peckinpah.
Comme les larmes dans la neige
1868 - Washita.
Sa mort, et celle de notre fils, dans la neige. Abattus par un soldat de Custer. Je vais rater Little Big Horn, mais moi, je meurs avec eux.
Hum Tum, Rayon de soleil aka Little Big Woman…
Les cavaliers de John Ford
A quoi songeaient les deux cavaliers…
La nuit était fort noire et la forêt très-sombre.
Hermann à mes côtés me paraissait une ombre.
Nos chevaux galopaient. A la garde de Dieu !
Les nuages du ciel ressemblaient à des marbres.
Les étoiles volaient dans les branches des arbres
Comme un essaim d’oiseaux de feu.
Je suis plein de regrets. Brisé par la souffrance,
L’esprit profond d’Hermann est vide d’espérance.
Je suis plein de regrets. O mes amours, dormez !
Or, tout en traversant ces solitudes vertes,
Hermann me dit : «Je songe aux tombes entr’ouvertes ;»
Et je lui dis : «Je pense aux tombeaux refermés.»
Lui regarde en avant : je regarde en arrière,
Nos chevaux galopaient à travers la clairière ;
Le vent nous apportait de lointains angelus; dit :
«Je songe à ceux que l’existence afflige,
A ceux qui sont, à ceux qui vivent. — Moi, lui dis-je,
Je pense à ceux qui ne sont plus !»
Les fontaines chantaient. Que disaient les fontaines ?
Les chênes murmuraient. Que murmuraient les chênes ?
Les buissons chuchotaient comme d’anciens amis.
Hermann me dit : «Jamais les vivants ne sommeillent.
En ce moment, des yeux pleurent, d’autres yeux veillent.»
Et je lui dis : «Hélas! d’autres sont endormis !»
Hermann reprit alors : «Le malheur, c’est la vie.
Les morts ne souffrent plus. Ils sont heureux ! j’envie
Leur fosse où l’herbe pousse, où s’effeuillent les bois.
Car la nuit les caresse avec ses douces flammes ;
Car le ciel rayonnant calme toutes les âmes
Dans tous les tombeaux à la fois !»
Et je lui dis : «Tais-toi ! respect au noir mystère !
Les morts gisent couchés sous nos pieds dans la terre.
Les morts, ce sont les coeurs qui t’aimaient autrefois
C’est ton ange expiré ! c’est ton père et ta mère !
Ne les attristons point par l’ironie amère.
Comme à travers un rêve ils entendent nos voix.»
Victor Hugo. John Ford aussi.
Les nuages de John Ford
Nuages, collines de vapeur,
collines, nuages de pierre,
désir d’étreinte
qui se poursuit dans le rêve du temps.
Rabindranâth Tagore, Les lucioles.
Dire aussi que les plus beaux Ford parlent de séparations, de déracinements, d’exils, ou de retraits. Le cinéma de John Ford est fait de soustractions, donc de douleurs, celui de son ami Howard Hawks est fait d’additions, donc d’excitations.
Dire encore que The Searchers raconte comment, depuis le seuil d’une maison, oasis au milieu d’une mer de silences et de splendeurs immobiles, on regarde un cavalier partir, puis revenir. Et inversement.
Quelle est la beauté de La prisonnière du désert ? Le désir d’étreinte d’une petite fille avec sa poupée trop tôt retirée, le désir d’étreinte entre une jeune fille perdue et un oncle qui, s’il n’avait prêté serment, aurait pu être son père, le désir d’étreinte entre le ciel et les buttes rocheuses de Monument Valley, autrement dit un désir d’embrasser l’éternité, pleinement assouvis quand John Wayne/Ethan Edwards soulève Nathalie Wood/Debbie pour la porter jusqu’au ciel. Et nous avec. Avant de l’étreindre. Au lieu de tuer, John Wayne serre dans ses bras. Le cosmos vient de retrouver son harmonie et sa paix intime. Une colère qui s’évanouit revêt toujours un caractère divin. John Ford n’est jamais allé aussi loin. John Wayne non plus.
Lost
Ma voie
Je suis Oryu la Pivoine rouge...
My way
de Shunji Iwai...
Car l’âme d’une fleur parle au coeur d’une femme…
Victor Hugo. Mikio Naruse aussi.
Mémoires de geishas
Embrasse-moi idiot !
Que ce soit dans la joie ou les larmes…
Kajol shatoyée
Reflets de Shah Rukh dans les yeux en or de Kajol.
Le Shah kajolé
Tes larmes qui ont coulé de mes yeux ont redonné le sourire à mes peines.
Nocturne
Bois frissonnants, ciel étoilé,
Mon bien-aimé s’en est allé,
Emportant mon coeur désolé !
Vents, que vos plaintives rumeurs,
Que vos chants, rossignols charmeurs,
Aillent lui dire que je meurs !
Le premier soir qu’il vint ici
Mon âme fut à sa merci.
De fierté je n’eus plus souci.
Mes regards étaient pleins d’aveux.
Il me prit dans ses bras nerveux
Et me baisa près des cheveux.
J’en eus un grand frémissement ;
Et puis, je ne sais plus comment
Il est devenu mon amant.
Et, bien qu’il me fût inconnu,
Je l’ai pressé sur mon sein nu
Quand dans ma chambre il est venu.
Je lui disais : « Tu m’aimeras
Aussi longtemps que tu pourras ! »
Je ne dormais bien qu’en ses bras.
Mais lui, sentant son coeur éteint,
S’en est allé l’autre matin,
Sans moi, dans un pays lointain.
***
Puisque je n’ai plus mon ami,
Je mourrai dans l’étang, parmi
Les fleurs, sous le flot endormi.
Au bruit du feuillage et des eaux,
Je dirai ma peine aux oiseaux
Et j’écarterai les roseaux.
Sur le bord arrêtée, au vent
Je dirai son nom, en rêvant
Que là je l’attendis souvent.
Et comme en un linceul doré,
Dans mes cheveux défaits, au gré
Du flot je m’abandonnerai.
***
Les bonheurs passés verseront
Leur douce lueur sur mon front ;
Et les joncs verts m’enlaceront.
Et mon sein croira, frémissant
Sous l’enlacement caressant,
Subir l’étreinte de l’absent.
***
Que mon dernier souffle, emporté
Dans les parfums du vent d’été,
Soit un soupir de volupté !
Qu’il vole, papillon charmé
Par l’attrait des roses de mai,
Sur les lèvres du bien-aimé !
Charles Cros, Le Coffret de santal.
Rendez-vous
Ma belle amie est morte,
Et voilà qu’on la porte
En terre, ce matin
En souliers de satin.
Elle dort toute blanche,
En robe de dimanche,
Dans son cercueil ouvert
Malgré le vent d’hiver.
Creuse, fossoyeur, creuse
À ma belle amoureuse
Un tombeau bien profond,
Avec ma place au fond.
Avant que la nuit tombe
Ne ferme pas la tombe ;
Car elle m’avait dit
De venir cette nuit,
De venir dans sa chambre :
« Par ces nuits de décembre,
Seule, en mon lit étroit,
Sans toi, j’ai toujours froid. »
Mais, par une aube grise,
Son frère l’a surprise
Nue et sur mes genoux.
Il m’a dit : « Battons-nous.
Que je te tue. Ensuite
Je tuerai la petite. »
C’est moi qui, m’en gardant,
L’ai tué, cependant.
Sa peine fut si forte
Qu’hier elle en est morte.
Mais, comme elle m’a dit,
Elle m’attend au lit.
Au lit que tu sais faire,
Fossoyeur, dans la terre.
Et, dans ce lit étroit,
Seule, elle aurait trop froid.
J’irai coucher près d’elle,
Comme un amant fidèle,
Pendant toute la nuit
Qui jamais ne finit.
Charles Cros, Le Coffret de santal.
Onnano Urami Bushi…
Quand rapidement elle passa près de moi, le bout de sa robe me frôla.
Comme une île inconnue vint de son coeur une soudaine et chaude brise de printemps.
Un souffle fugitif me caressa, et s’évanouit, tel s’envole au vent le pétale arraché à la fleur.
Il tomba sur mon coeur comme un soupir de son corps et un murmure de son âme.
Rabindranâth Tagore, Le jardinier d’amour.
La jeune fille de l'eau
Cauchemar d’aurore…
Aura, reviens. Aura, où es-tu ? Je ne te ferai jamais de mal. Je t’ai cherché partout.
Ruby Rain
Sliding down my face
Ruby Rain
Following my trace
Too late now, I’ve found you…
Ophélie
I
Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
- On entend dans les bois lointains des hallalis.
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir.
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.
Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.
Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle ;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile :
- Un chant mystérieux tombe des astres d’or.
II
Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
- C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté ;
C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,
A ton esprit rêveur portait d’étranges bruits ;
Que ton coeur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits ;
C’est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux ;
C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux !
Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
- Et l’Infini terrible effara ton oeil bleu !
III
- Et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ;
Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.
Arthur Rimbaud.
Miss Salma
Regardez comme elle prend du plaisir avec son serpent…
Apocalypto
L’Apocalypse selon Sainte Anna et Sainte Lucie.
Apocalypse, du terme grec Apokalupsis et traduit de l’hebreu Nigla, qui signifie : mise à nu, enlèvement du voile, révélation.
Anna, t’es là ?
Je suis là.
Anna ?
Oui Lucie.
Pourquoi t’as jamais peur, toi ?
J’ai peur.
Oui, mais pas comme moi.
J’ai pas vécu ce que t’as vécu. Comment faire pour ne plus avoir peur ?
Faut se laisser aller, je crois.
Tu crois ?
Faut se laisser aller.
Si j’y arrive pas, tu seras là ?
Oui.
Tu me manques.
Lucie et Anna.
Martyrs de Pascal Laugier.
Et l’on voit tout au fond, quand l’oeil ose y descendre,
Au-delà de la vie, et du souffle et du bruit.
Victor Hugo, Ce que dit la bouche d’ombre.
Lucie, t’es là ?
Oui Anna.
Apocalypse now…
Neige de printemps
De quels rêves étaient faites les nuits de Mikio Naruse avant de filmer les mélancolies sublimes d’Hideko Takamine ?
De quels songes étaient faits les sourires d’Hideko Takamine ?
D’une neige de printemps…
Le corps d'Oyuki
Signé Buichi Saito dans L'âme d'un père, le coeur d'un fils.
Les griffes de la nuit
Les femmes damnées de Coppola
Le Dracula de Coppola ne se nourrit pas tant du sang des vierges que de leurs rêves érotiques. C’est sous la forme d’un loup-garou qu’il va, une nuit d’orage, combler ceux de Lucy. Ainsi seront pleinement assouvis ses désirs de pénétrations sauvages et de chevauchées fantastiques.”J’ai encore le goût de son sang dans la bouche”, hypocrite Lucy car le vampire, on le sait, ne pénétre ses victimes et de son sang n’éjacule que s’il y est invité. Celles qui ont l’honneur d’y goûter sont triées sur le volet. Le sang de Dracula, il est vrai, est délétère, le vampire de ces dames ne le dispense pas à la légère. A défaut de donner la vie, il abreuve d’une jouvence éternelle celles qui ont la chance d’en être investi. Vite épuisée, la scandaleuse Lucy va pouvoir rejoindre la liste très select des fiancées du maître. Morte vivante et damnée.
Dracula cependant n’a pas traversé les océans pour assouvir un vulgaire désir. Le Dracula de Coppola ne rêve que de conquérir Mina, réincarnation de son épouse bien-aimée Elisabeta, cause de nombreux empalements. Vite conquise, la douce Mina qui n’en peut plus d’attendre suppliera son prince charmant de pouvoir consommer son précieux breuvage. Et réciproquement ! Et pour ce Bram Stocker’s Dracula de satisfaire le désir et le plaisir profond du spectateur. D’assister à un flirt lesbien sous la pluie, en guise de préliminaire aux futures effusions et saillies sanguines de Dracula. De voir Winona en nuisette d’un bleu diaphane dévaler les marches d’un manoir tandis que les fiancées de Dracula, les seins nus, sont toutes occupées à pomper ce nigaud de Jonathan. De voir sur pellicule des coeurs qui palpitent, des corps concupiscents qui ardemment désirent s’affranchir des carcans. De voir finalement une histoire d’amour fou rejoindre une geste érotique, celle d’une jeune victorienne rêvant de levrettes.
Tristesses de la lune
Les bienfaits de la Lune
La Lune, qui est le caprice même, regarda par la fenêtre pendant que tu dormais dans ton berceau, et se dit : « Cette enfant me plaît. »
Et elle descendit moelleusement son escalier de nuages et passa sans bruit à travers les vitres. Puis elle s’étendit sur toi avec la tendresse souple d’une mère, et elle déposa ses couleurs sur ta face. Tes prunelles en sont restées vertes, et tes joues extraordinairement pâles. C’est en contemplant cette visiteuse que tes yeux se sont si bizarrement agrandis; et elle t’a si tendrement serrée à la gorge que tu en as gardé pour toujours l’envie de pleurer.
Cependant, dans l’expansion de sa joie, la Lune remplissait toute la chambre comme une atmosphère phosphorique, comme un poison lumineux ; et toute cette lumière vivante pensait et disait : « Tu subiras éternellement l’influence de mon baiser. Tu seras belle à ma manière. Tu aimeras ce que j’aime et ce qui m’aime : l’eau, les nuages, le silence et la nuit; la mer immense et verte ; l’eau uniforme et multiforme ; le lieu où tu ne seras pas ; l’amant que tu ne connaîtras pas ; les fleurs monstrueuses ; les parfums qui font délirer ; les chats qui se pâment sur les pianos et qui gémissent comme les femmes, d’une voix rauque et douce !
« Et tu seras aimée de mes amants, courtisée par mes courtisans. Tu seras la reine des hommes aux yeux verts dont j’ai serré aussi la gorge dans mes caresses nocturnes; de ceux-là qui aiment la mer, la mer immense, tumultueuse et verte, l’eau informe et multiforme, le lieu où ils ne sont pas, la femme qu’ils ne connaissent pas, les fleurs sinistres qui ressemblent aux encensoirs d’une religion inconnue, les parfums qui troublent la volonté, et les animaux sauvages et voluptueux qui sont les emblèmes de leur folie. »
Et c’est pour cela, maudite chère enfant gâtée, que je suis maintenant couché à tes pieds, cherchant dans toute ta personne le reflet de la redoutable Divinité, de la fatidique marraine, de la nourrice empoisonneuse de tous les lunatiques.
Charles Baudelaire.
S’offrir est mourir un peu…
Dellamorte Dellamore Anna Terzi.
Dans Le chat à neuf queues de Dario Argento.
Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon coeur
D’une langueur
Monotone.
Verlaine, Chanson d’automne. Jean-Pierre Melville aussi dans L’armée des ombres.
Le dernier souffle
Il faut marcher seul, sans commettre de péché, avec peu de souhaits, comme un éléphant dans la forêt.
Mamoru Oshii. Jean-Pierre Melville aussi.
Avant de marcher pour le cimetière des éléphants.
Une âme, selon Melville ?
Un esprit vagabond lassé de vagabonder. Qui, de corps en corps, rêve d’histoires d’amour et d’honneur, esquissées par des regards, soit des frôlements d’âmes. D’histoires de résistants. D'histoires de samouraïs. D’histoires révolues. Avant d’aspirer à retourner au cosmos.
Quelle est la beauté et la vérité du cinéma de Kenji Mizoguchi ? Donner à la lumière de ses films la grâce d’éclairer les âmes des jeunes filles, avant, pendant et après leurs désillusions. Donner aux ombres (autrement dit des faiblesses, en l’occurence celles des hommes) le pouvoir d’éroder leurs rêves et leurs sourires. Donner aux cerisiers et au son du koto l’ivresse de les consoler. (Et celle de nous languir.) Donner à ses mouvements de caméra la faveur de figurer le cours d’une rivière. Qui lui-même figure le cours d’une âme, de ses mélancolies à ses ruines. Jusqu’à son estuaire. Jusqu’au Grand Océan.
Oyu-sama ne déroge pas aux autres Mizoguchi : il coule comme une rivière au milieu de cerisiers volages et immaculés. Et la rivière de s’écouler comme un long sanglot.
En envoyant un pot de fleurs
Minuit au vieux beffroi : l’ombre dort, et la lune
Se joue en l’aile noire et morne dont la nuit,
Sombre corbeau, nous voile. Au ciel l’étoile fuit.
- Mille voix du plaisir voltigent à moi : l’une
M’apporte ris, baisers, chants de délire : suit
Une fanfare où Strauss fait tournoyer la brune
Au pied leste, au sein nu, que sa jupe importune.
- Tes masques ! carnaval ! tes grelots ! joyeux bruit ! -
Et moi, je dors d’un oeil, et je vous dis, Marie,
Qu’en son vase embaumé votre fleur est ravie
D’éclore sous vos mains, et tressaille au bonheur
De vivre et se faner un soir sur votre coeur !
- Ah ! d’une aurore au soir dût s’envoler ma vie
Comme un rêve, fleurette, oui, ton sort, je l’envie !
Stéphane Mallarmé
Dans un étang gelé,
Une âme et des pieds nus,
Un coeur qui s’endort,
Un murmure dans l’eau
Et la forêt qui s’est tue…
De son trépas,
la lune n’éclaire plus
que le sillage d’Anju…
Du meurtre des deux fillettes dans M le maudit, Lang ne montre rien tout en montrant beaucoup plus : deux ballons vagabonds, deux ballons orphelins…
To-o kami emi tame...
A la recherche de Balthazar
To-o kami emi tame...
A la recherche d'Anne Boleyn
Les êtres étoilés que nous nommons archanges
La bercent dans leurs bras au milieu des louanges,
Et, parmi les clartés, les lyres, les chansons,
D’en haut elle sourit à nous qui gémissons.
Elle sourit, et dit aux anges sous leurs voiles :
Est-ce qu’il est permis de cueillir des étoiles ?
Victor Hugo, Les contemplations.
Dellamorte Dellamore Anna.
Rest in peace...
Désolé, mais la dame veut seulement les étoiles...
Kill Jason Bourne
Où va aller le nouveau-né ?
Monts et merveilles...
In Sin City.
What more you want, Buffy ?
Un missionnaire passionné pour Angel, une levrette sauvage et des chevauchées fantastiques pour Spike. Buffy tout contre les vampires : la création de Whedon, sous couvert d'une mission, est le récit d'une initiation, donc d'une transformation. Buffy relate une histoire de pénétrations ou de velleités de pénétrations, forcément contradictoires, et de jouissances. Donc d'abandons. Autrement dit, Buffy relate l'histoire d'une jeune femme qui apprend à manier des pieux.
Que le spectacle commence...
Je n'ai jamais avalé quelque chose d'aussi bon...
Je suis Shosanna…
(Alors, comment il s’appelle ?)
Morveux.
(T’as dit Morveux ?)
Ouais, c’est çà.
(“Morveux”, çà lui plait ? Ce type que sa mère s’est fait chier à appeler Omar Isaiah Betts. Tu sais, il oublie sa veste. Son nez se met à couler et un connard, au lieu de lui passer un kleenex, l’appelle "Morveux”. Et voilà, il est baptisé pour toujours. C’est vraiment pas juste.)
Faut croire que c’est la vie.
(Alors, qui a tué Morveux ?)
Je ne vais pas au tribunal. Quand même, cet enculé aurait pas du le tuer.
(C’est très vrai.)
Il aurait pu lui casser la gueule, comme on fait d’habitude.
(Je suis bien d’accord.)
Et il tue Morveux. Morveux fait les mêmes trucs depuis des années. Tuer un mec pour des conneries. Tous les vendredis soirs, dans la ruelle derrière le magasin discount, on joue aux dés. Avec les gars du quartier, on joue toute la nuit. Et chaque fois, Morveux venait lancer les dés. Il jouait jusqu’à ce qu’il y ait une cagnotte puis il se cassait avec.
(Chaque fois ?)
Il pouvait pas s’en empêcher.
(Que je te comprenne. Tous les vendredis soirs, toi et tes potes, vous jouez aux dés. Et tous les vendredis soirs, ton pote Morveux attendait qu’il y ait de l’argent sur la table et puis se cassait avec en courant ? Vous le laissiez faire ?)
On lui cassait la gueule. Mais personne est allé plus loin.
(Laisse moi te poser une question. Si Morveux se tirait chaque fois avec l’argent, pourquoi vous le laissiez jouer ?)
Quoi ?
(Si Morveux volait toujours l’argent, pourquoi le laissiez-vous jouer ?)
Fallait bien. On est en Amérique.
Welcome to Baltimore, U.S.A…
Speciale dedicace à Omar Little, et Morveux.
Une faille dans le cosmos
Les britanniques ont le sens de la momie, au point d’attendre son réveil avec une ardente envie…
Dellamorte Dellamore Sharon
Mais qu’avez-vous fait à Sharon ?
Les anges tirent la langue aussi...
Chak de India !