Open your mind
Dans l'oeil d'Oshii
A la recherche de l’Ombre…
Dans un champ de blé où les hommes se font une guerre virtuelle, soudain, un rayon de lumière pure troue un ciel fermé, téléportant une héroïne, depuis un échec collectif, solitaire. Ses yeux de feu embrasent leur funèbre jeu et son sinistre univers. Sa mèche cendrée qui foudroie et consume les autres joueurs lui doit son surnom de Gray Lady. Son âme ardente et rebelle perçoit au loin une haute et noble chanson qui parle d’une île de légende. Il est dit que beaucoup ici bas, dans le monde sépia où “vit” la dame en gris, ne font que de la figuration. Dans notre monde, ce sont des âmes retenues, en peine, ou éteintes ou en sommeil. L’âme n’a suffisamment de feu et de magie à rester prisonnière d’un corps triste. L’âme, pour ici bas nourrir sa lumière, retrouver un peu de son invincibilité et de sa grâce, a besoin d’un corps fétichisé et ludique. Nous dit aussi Oshii. Il est dit également que dans ces mondes alternatifs, les bassets hound ou les chiens-loups, les colombes ou les mouettes, sont des miroirs et des phares. Qui reflètent nos solitudes et se donnent en jalons. Qui donc, sont autant de brèches dans nos amnésies. Et pour la dame en gris, célébrée par un c(h)oeur d’opéra, après avoir chassé des fantômes, retrouvé et capturé l’Ombre, de se souvenir et de réintégrer son immortelle patrie.
Fais-moi entrer…
A la nue accablante
Là où l'oeil se pose, l'âme se repose ou s'expose...
A la nue accablante tu
Basse de basalte et de laves
A même les échos esclaves
Par une trompe sans vertu
Quel sépulcral naufrage (tu
Le sais, écume, mais y baves)
Suprême une entre les épaves
Abolit le mât dévêtu
Ou cela que furibond faute
De quelque perdition haute
Tout l'abîme vain éployé
Dans le si blanc cheveu qui traîne
Avarement aura noyé
Le flanc enfant d'une sirène.
Y a t-il une limite au cinéma d’Oshii Mamoru et à la poésie de Stéphane Mallarmé ? Tant ceux-ci repoussent sans cesse les frontières, tant les abolir a toujours été leur dessein suprême. Tant leurs oeuvres, soeurs et sirènes sublimes, appellent à des rivages inconnus. Tant elles font figure de voyages du langage à destination de l'Absolu. Pour au final conquérir un vertige métaphysique, donc essentiel : l’accession à son identité et à l’Univers.
Prochainement : y a t-il une limite à la musique de Richard Wagner, autre figure tutélaire de notre identité ?
La Poésie est l’expression, par le langage humain ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l’existence : elle doue ainsi d’authenticité notre séjour et constitue la seule tâche spirituelle. (…) Qui parle autrement que tout le monde risque de ne pas plaire à tous ; mieux, de passer pour obscur aux yeux de beaucoup. (…) L’attrait de cette poésie tient à ce qu’elle est vécue comme un privilège spirituel : elle semble élever au plus haut degré de qualité, moyennant l’exclusion de la foule profane, cette pure joie de l’esprit que toute poésie promet.
Stéphane Mallarmé. Mamoru Oshii aussi.
A la recherche de l'Eve future
Où va aller la nouvelle née ?
A vouloir éveiller la conscience des hommes, Mamoru Oshii le Grand philosophe donne aussi à son héroïne cybernétique la faveur et le pouvoir de réveiller l’esprit de Dieu, grâce à cette invocation shintoïste finale à vous libérer l’âme : To-o kami emi tame. Et pour Motoko d’embrasser la grâce des anges.
Innocence ou le miroir aux alouettes
La perfection n’est possible que pour ceux qui n’ont pas de conscience, ou ceux qui sont dotés d’une conscience infinie. Autrement dit, pour les poupées et les dieux. En fait, il y a un monde d’existence comparable aux poupées et aux dieux. (Les animaux ?) Les alouettes de Shelley sont plongés dans une joie profonde instinctive. Une joie que nous les humains à cause de notre timidité ne connaîtront jamais.
A quel point les miroirs affectent et falsifient la vision des hommes, leur perception du cosmos ? A quel point les reflets renvoyés nuisent à notre rapport à l’Univers, nous interdisent la Joie, nous limitent, nous contraignent à la nostalgie, à la mélancolie, ou à la vanité ? L’homme n’a rien à gagner avec un examen minutieux, nous répond Mamoru Oshii dans Innocence. Aussi, d’avoir les yeux plus gros que le cerveau, de prendre ses rêves de gloire pour des réalités, l’homme se perd. Et ne donne que trop peu d’énergie positive à l’Univers. A raconter ce miroir aux alouettes (ici promu par Locus Solus, la société tentaculaire de demain), Innocence en vient aussi à raconter un non et un cri : Mais je ne voulais pas devenir une poupée. Avant de filmer l’envolée d’un ange via la chute d’une poupée désarticulée et un cathartique To-o kami emi tame.
Je m’en vais…
Dire, chez Mamoru Oshii, qu’en toute poupée cassée on peut voir un ange s’envoler, qu’en toute plume ou tout flocon de neige versé, on peut voir un ange pleurer, pour absoudre ou sanctifier.
Dans le secret azur de ses cieux, j’ai vertige à voir de précieux mirages, et l’espoir de naître, et d’une larme et d’un nuage. Avant que l’oiseau Nue ne chante à l’aube :
To-o kami emi tame
De conter des désirs de fusion, pour combler une volonté d’élévation. De raconter l'histoire de regards en mélancolie qui gagne des ailes et une lumière. Ainsi va le cinéma de Mamoru Oshii.
Veni sancto spiritus…